Nous constatons alors que dans l'enchaînement des causes et des effets, la communication se place en amont du mouvement tissulaire. C'est essentiellement en contrôlant la communication tissulaire que nous influencerons le mouvement. Essayons d'y voir plus clair.
Communication et mouvement appartiennent à deux univers différents. Le mouvement appartient au domaine de l'univers physique, matériel, objectif, alors que la communication est inhérente à la vie et appartient au domaine immatériel, subjectif. Certes, la communication peut utiliser des moyens purement physiques pour s'exprimer. Nous le constatons tous les jours. Cependant, l'origine même de la communication fait appel à une intention, un dessein, que seule la vie est capable de générer. Autrement dit, les flux de communication peuvent utiliser des moyens purement physiques pour s'exprimer, mais l'impulsion primitive fait appel à la vie, seule capable de la créer.

En ne nous intéressant qu'au mouvement, nous nous cantonnons à l'univers physique, nous sommes dans l'univers des effets, alors qu'en considérant la communication, nous nous intéressons à la vie et à l'univers des causes. Les vraies causes ne sont jamais vues. Elles sont immatérielles, subjectives.

A l'heure actuelle, la recherche en ostéopathie, tend à se cantonner à une démarche scientifique, demeurant dans l'univers objectif des manifestations. Elle se limite ainsi considérablement. La recherche des causes constitue un des fondements de notre art. Il est donc très important, dans notre démarche, de quitter le seul domaine des effets pour nous intéresser aux causes, à la vie. Cela ne nous empêche nullement d'observer les effets de notre action et, à la lumière d'une dé-marche scientifique, d'en tirer des conclusions objectives.

La vie en difficulté

Chaque fois que la vie rencontre une difficulté, elle a spontanément tendance à l'éviter. L'évitement le plus fréquent est l'attaque ou la fuite. Si l'évitement n'est pas possible, la structure vi-vante tente de s'isoler. Pour cela, elle réduit ses échanges, sa communication avec l'extérieur, en retenant de l'énergie. Ce faisant, elle se rétracte et se densifie. Lorsque l'évènement qui a provoqué cette tentative d'isolement est suffisamment fort ou s'il se répète de manière chronique, la structure vivante finit par adopter un mode de fonctionnement en rétraction. Ainsi, apparaît-elle à notre palpation comme plus dense, plus tendue, moins mobile.

Notre objectif, alors, est de la remettre en mouvement. Mais compte tenu de ce qui vient d'être dit, le mouvement de la structure ne réapparaîtra que si la communication avec l'extérieur s'est améliorée.



La palpation, une communication

Nous assumerons le point de vue que la palpation est une communication. Ainsi, en connaissant mieux ce qui constitue l'essentiel d'une communication, pouvons-nous penser que nous améliorerons notre palpation. La communication comporte des éléments objectifs et d'autres subjectifs.

Les éléments objectifs de la communication
Il s'agit tout simplement de l'objet de la communication. Pour une communication verbale, nous pourrions parle du sujet de la conversation. En effet, lorsque nous communiquons avec quelqu'un, il faut trouver un sujet sur quoi échanger. Il faut que nous soyons tous les deux d'accord non seulement pour aborder ce sujet, et également sur le sujet lui-même pour pouvoir communiquer facilement, du moins au début. Il faut donc que le thème de communication soit réel pour l'autre et l'intéresse.

Au niveau des tissus, quels sont les éléments importants ? On peut imaginer que ce sont ceux qui sont le plus directement reliés à la vie et à ses difficultés. Donc tous ceux qui concernent les phénomènes de rétention d'énergie dans une zone tissulaire.
L'expérience nous en a fait retenir trois essentiels, qui nous permettent, une fois mis en place, de débuter un dialogue tissulaire : il s'agit de la densité, de la tension et de la vitesse.

La densité est le premier élément nous permettant de mettre en place une communication avec les tissus vivants. Pour avoir une idée précise de ce que veut dire densité, comparons la perception tactile immédiate d'une boule de billard par rapport à celle d'une orange. La boule de billard est matière compacte, serrée, alors que l'orange semble plus aérée dans sa structure.
Nous venons d'expérimenter la densité qui, exprimée en terme de physique, correspondrait à la relation de l'énergie à l'espace. Voilà le premier élément qui nous permet de contacter une structure vivante. Pour qu'une communication avec le tissu puisse avoir lieu, nous devons trouver un accord dans notre palpation, avec sa densité, parce qu'elle caractérise son essentiel matériel du moment. Nous expliquerons comment procéder tout à l'heure.

La tension est le second élément de réalité d'un tissu vivant. Nous pouvons nous faire une idée de ce qu'est la tension d'une zone tissulaire en évoquant la différence existant entre un ballon gonflé et un autre peu gonflé. Il s'agit d'une perception de surface.
Par rapport à l'univers physique, la tension correspond à la relation de l'énergie au temps. Après avoir trouvé l'accord avec la densité d'un tissu, nous devons trouver l'accord avec sa tension, pour que la communication puisse vraiment commencer. La mise en accord avec la tension tissulaire permet aux flux bloqués dans la structure de commencer à se mobiliser, ce qui se manifeste par du mouvement. V. Frymann évoque cela en comparant le fascia qui se met en mouvement au fil du téléphone qui libère son énergie lorsqu'on laisse pendre le combiné au bout de son fil et qu'il se met à tourner spontanément.

Puisqu'il y a maintenant mouvement, apparaît un troisième élément de réalité tissulaire : la vitesse. Par rapport à l'univers physique, la vitesse s'exprimerait comme la relation de l'espace au temps. Dans notre palpation tissulaire, nous devons nous accorder à la vitesse des tissus. Comme le mouvement est la manifestation d'un flux d'énergie qui flue et se libère des tissus, il est important de lui permettre de s'exprimer pleinement. Ainsi, s'accorder à la vitesse du déroulement tissulaire est particulièrement crucial.



Les éléments subjectifs de la communication
Pour qu'il y ait réellement communication et non pas seulement un échange passif relié à une différence de potentiel, d'autres éléments, de nature subjective doivent être présents. Ce sont en fait eux qui génèrent réellement la communication.
Le premier est la présence, sans laquelle rien ne serait possible. En effet, pour pouvoir communiquer, le premier élément indispensable est d'être présent à l'autre. Bien que simple, ce premier point est un des plus difficiles à mettre en œuvre.

Puis, vient l'intention qui désigne simplement ce que nous voulons faire, notre objectif, notre dessein. En fait simple et pourtant essentiel relié à la vie, c'est que s'il n'y a pas d'intention, il n'y a pas d'action. Et, à rebours, chaque fois qu'une action se manifeste dans le monde du vivant, c'est qu'une intention l'a générée. Ne vous est-il pas bien souvent arrivé, au cours de votre travail ostéopathique de vous arrêter soudainement en vous demandant : « mais qu'est-ce que je suis en train de faire ? » Votre intention était absente.. Les tissus de nos patients sont très sensibles à l'intention. Ils y répondent avec une grande application. Si notre intention par rapport à eux est précise et bien posée, leurs réponses seront elles-mêmes claires et sans ambiguïté. Au contraire, si notre intention est floue, les réponses tissulaires seront également imprécises et difficilement interprétables. Nous sous estimons souvent ce paramètre pourtant si simple.

L'attention est le dernier élément subjectif essentiel de la communication. Elle est reliée à l'espace. C’est avec l’attention que l’être détermine la région de l'espace environnant d'où il va percevoir. Localiser notre attention, c'est ce que nous faisons lorsque dans une pièce grouillante de monde et pleine de bruits, nous limitons notre champ de perception à un interlocuteur que nous avons repéré dans la pièce. Tous les stimuli sensoriels existent toujours, mais nous avons choisi de ne percevoir que ceux provenant d'une certaine zone d'espace.

Nous devons faire la même chose au niveau de la perception tissulaire. Notre attention doit se localiser dans la région du corps qui nous intéresse. Si notre attention s'échappe, notre perception se modifie. Maintenir une attention stable est une difficulté les plus fréquemment rencontrées en début de pratique.

Dans une communication tissulaire, nous devons parvenir saisir le plus fidèlement possible, les éléments qui nous sont transmis par les tissus de notre patient. Cela concerne notamment les paramètres objectifs de densité, de tension et de vitesse, ainsi que leurs variations au cours du travail de libération tissulaire.
Plus nous sommes précis dans la syntonisation avec ces paramètres, plus notre communication avec les tissus est fine, et plus nous pouvons les aider à libérer l'énergie qu'ils retiennent.

Nos six outils majeurs
Les paramètres subjectifs et objectifs constituent les six outils majeurs de l'ostéopathe qui désire communiquer réellement avec les tissus vivants. En effet, notre palpation est un des meilleurs moyens de prendre contact avec les tissus de notre patient et d'en obtenir l'information qui nous permettra de les aider. Comme le dit Krishnamurti, « Savez-vous que même lorsque vous regardez un arbre en vous disant que c'est un chêne ou un banyan, ce mot, faisant partie des connaissances en botanique, a déjà si bien conditionné votre esprit qu'il s'interpose entre vous et votre vision de l'arbre ? Pour entrer en contact avec l'arbre nous devons y appuyer la main. Le mot ne nous aidera pas à le toucher. » (Krishnamurti 1994, p. 24) C'est l'expérimentation directe que nous faisons des choses qui nous en donne une réalité concrète. La palpation est le meilleur outil de l'ostéopathe, celui qui lui permet de savoir exactement ce qui se passe au sein des tissus du corps de son patient.



La mise en place des paramètres

Notre propos est maintenant d'expliquer comment mettre en place les paramètres de palpation. Nous commencerons par les paramètres subjectifs, parce que ce sont eux qui initient et dirigent la communication tissulaire et nous présenterons ensuite les paramètres objectifs, qui orientent la communication spécifiquement vers les tissus du corps.

Mise en place des paramètres subjectifs

Bien que cela puisse paraître trop évident, pour s'y arrêter nous insisterons tout d'abord sur la présence. Être là, est un préalable à toute possibilité de communication vraie. Il ne faudra donc pas hésiter à prendre le temps nécessaire pour assurer cette présence à l'univers physique et à l'autre.

La présence : consiste à être là, simplement, sans effort, afin de pouvoir entrer en relation avec la structure vivante de notre patient. Bien que simple dans sa formulation, ce paramètre est un des plus difficiles à tenir. Il est pourtant très important puisque les autres paramètres subjectifs lui sont directement consécutifs. Cela signifie que si la présence n'est pas de bonne qualité, l'intention et l'attention, qui en sont des sous-produits en seront pas non plus de bonne qualité.

L'intention : préciser mentalement ce que nous désirons faire. L'expérience nous a montré à quel point les tissus du corps sont sensibles à l'intention du thérapeute. Ainsi donc, préciser quel est l'objectif de la séance, et l'intention du moment : obtenir de l'information, ou libérer de l'énergie, ou trouver les paramètres d'une zone tissulaire, etc.

Une bonne règle pour débuter consiste à préciser exactement ce que nous voulons faire à chaque fois que nous posons la main sur le corps du patient.

L'attention : placer l'attention sur la zone tissulaire avec laquelle nous voulons communiquer. Cette action est extrêmement simple. L'attention est une question d'espace. Il ne s'agit pas ici de se représenter une zone du corps et encore moins d'en projeter une image préétablie dans notre mental. En faisant cela, nous communiquons avec l'image projeté au lieu de communiquer directement avec les tissus.

Mise ne place des paramètres objectifs

La densité
: la densité est le premier paramètre que nous suggérons de mettre en place. Il s'agit là avant tout d'une conclusion expérimentale : ça marche. Il y a cependant une logique à procéder ainsi. La densité nous permet de nous mettre en relation avec la matérialité tissulaire. Cette matérialité en constitue un élément essentiel et nous ne devons pas le négliger, au risque de voir notre communication inopérante.

Pour mettre en place la densité, il faut contacter le tissu, d'abord très légèrement, en surface, puis pénétrer doucement, profondément, en analysant la réponse que les tissus offrent à notre pression. Il est bon d'imaginer la réaction d'un bateau que l'on pousse doucement sur l'eau. Selon l'orientation de son gouvernail, il va s'orienter vers telle ou telle direction. La poussée initie le mouvement, mais c'est le gouvernail qui donne la direction. Nous devons faire de même avec les tissus : nous les pénétrons doucement, sans brutalité, avec leur accord – l'intention du thérapeute est ici importante –, et nous suivons la direction spontanée qu'ils nous proposent. Ils nous dirigent là où il faut. Ils savent bien mieux que nous où il faut aller.

Suivre cette réponse spontanée jusqu'au plus profond possible. Alors apparaît la sensation de reposer sur quelque chose de solide, bien que souple encore.
Il est temps de mettre de la tension. Cela se fait en créant une légère contraction isométrique progressive dans la ou les mains. Cette tension amplifie le mouvement tissulaire. Les tissus commencent à libérer leur énergie stagnante et ils le font en mouvement.
Il convient maintenant de suivre la vitesse tissulaire.

Il faut alors suivre les tissus dans leurs mouvements de libération, jusqu'à leur arrêt dans une position d'équilibre et la perception qu'un relâchement net s'est produit. Si les tissus s'arrêtent en position de contrainte, il faut remettre un peu de densité et de tension pour les aider à aller plus loin dans leur libération. La collaboration respiratoire peut être également une aide. Suivre jusqu'à la fin du cycle de libération.



Quelques conseils

La prise en charge des outils de palpation ne se fait pas rapidement. Bien que simples, ces outils sont subtils et il faut du temps pour acquérir l'entraînement et la finesses nécessaires.
Le temps est une donnée importante. Il faut accorder aux tissus le temps de répondre. Plus ils sont denses, plus ils sont chargés, plus ils seront lents à répondre. La sollicitation trop rapide ou trop forte du praticien entraînera un refus tissulaire spontané. Cela peut se comparer au temps nécessaire pour mettre en mouvement un bateau sur l'eau. Si la poussée est trop rapide, le temps d'inertie du bateau n'étant pas respecté, il renvoie la poussée au lieu d'avancer docile. Si une telle perception survient des tissus au moment où le praticien veut les pénétrer, il doit retirer ses mains et recommencer avec beaucoup plus de douceur et en accordant aux tissus le temps nécessaire à leur réponse.
L'intention est également un élément déterminant dans la communication tissulaire. Il faut demander aux tissus de donner leur densité. Ils sont vivants, ils communiquent. Leur faire parvenir – non verbalement – notre intention est le meilleur moyen d'obtenir leur collaboration in-conditionnelle. Puisque ils sont vivants, ils ont le même but que nous : communiquer, même s'ils ont des difficultés pour cela.
L’attention est également un facteur très important dans la communication, fut-elle tissulaire. Cependant, l’attention est d’autant plus facile à maintenir que la communication est présente. Il est très difficile de maintenir son attention sur un objet non vivant, parce qu’il ne communique pas. Si nous considérons les tissus du corps comme vivant, nous établissons une ligne de communication avec eux et il est beaucoup plus facile de stabiliser notre attention sur eux.

Bibliographie

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