Pourquoi une telle traduction ? On peut se demander s'il est vraiment nécessaire, sinon même utile, de se donner la peine de traduire un texte vieux de plus de 100 ans sur un sujet sans cesse débattu et qui n’a toujours pas trouvé de réponse réellement satisfaisante. Ce travail m'a permis de contenter une curiosité historique et philosophique relativement au développement de l’ostéopathie par A. T. Still. Dans, La philosophie et les principes mécaniques de l’ostéopathie, chapitre 11, Still évoque pour la première fois le concept biogène. J'ai trouvé ce texte particulièrement intéressant et l'ai traduit et ajouté en annexe à la nouvelle édition de Philosophie, revue et augmentée, parue en 2003 (annexe 1). Mais je me demandais d’où venait ce concept, apparaissant, ex abrutodans l’œuvre publiée de Still, sans aucune référence quant à son origine.

C'est grâce à la lecture et la traduction du livre de Zachary Comeaux Incendie sur la prairie, histoire romancée de la vie de Still et du développement de l’ostéopathie que j'ai découvert l'origine du concept biogène. Comeaux y fait s’exprimer Still en ces termes : « Coues était chirurgien militaire, comme je l’avais été. Il suivit les expéditions qui aidèrent à civiliser le Sud Ouest. Il était aussi un peu biologiste et naturaliste. Dans son étude de la flore et de la faune, il commença à décrire la force de vie qui différencie le vivant du non vivant. Son concept biogène est parfaitement décrit et résumé dans une conférence qu’il donna devant la Société Philosophique de Washington. À mes yeux, son idée supportait mes propres idées concernant la manière particulière de reconnaître la main de Dieu dans l’homme vivant. » (p. 80). C’est cette conférence, récemment republiée, que j’ai pu me procurer et qui est l’objet de la présente traduction.

Dans ce texte, Coues développe largement le concept biogène qu’il a créé (une autre manière de formuler le concept vitaliste, une doctrine biologique développée en France par Paul-Joseph Barthez, médecin et philosophe français, selon laquelle les êtres vivants, aussi simples soient-ils, se distinguent des entités non vivantes par la manifestation d’une « force vitale » [ou « principe vital »] non réductible à des lois physiques et chimiques).
Les vitalistes n’attribuent pas nécessairement la force vitale à l’action d’un créateur divin. Mais Coues le fait et s’en explique ; et la manière qu’il a d’exprimer cette croyance rejoint très étroitement la manière dont Still, en bon méthodiste, insiste tout au long de son œuvre sur la filiation divine de l’homme. Cette conférence m’est apparue importante en ce qu’elle ouvre encore un peu plus la compréhension que Still avait de notre nature spirituelle et propose du même coup des voies de recherche et de travail bien peu explorées dans les approches médicales et thérapeutiques classiques actuelles, y compris en ostéopathie.

Préface de l'édition américaine

À l’automne 1882, le président de la Société Philosophique de Washington m’honora d’une invitation à laquelle je ne me sentis pas le droit de me soustraire. Je devais, devant cette société sa­vante, aborder le problème général de la Vie – son origine, ce qu’elle est, la manière dont elle agit et sa raison d’être.

La fascination exercée par ces questions, sans cesse posées et toujours en suspens, vient du fait que nous les considérons comme sans réponse, tout en ressentant que chaque être humain trouvera, un jour où l’autre, d’une manière ou d’une autre, ses propres ré­ponses.

D’après ce que je pus comprendre, la situation de la Société Philosophique était la suivante : le président sortant, lors de ses ultimes interventions, avait discuté de biologie et soutenu qu’un certain « principe vital » était à l’origine de la Vie ou bien était à tout le moins nécessaire pour les objectifs du vivre. Cela semblait une proposition raisonnable ; mais elle fut considérée comme plus ou moins non philosophique et non scientifique, parce que la so­ciété n’était pas parvenue à découvrir ce qu’était ce principe vital, ni, évidemment où le trouver. Les mathématiques ne permettaient de le trouver en aucun point des dimensions de l’espace. La phy­sique avait échoué à le trouver dans aucune force d’attraction ou de répulsion. La chimie avait échoué à le trouver dans aucune combinaison atomique ou moléculaire. Alors, on avait appelé la biologie – « cette science de la vie » – à la rescousse, avec une substance connue sous le nom de protoplasme ; puisque la physique avait démontré que seuls existaient matière et mouvement ; que la chi­mie avait démontré que le protoplasme était de la matière en mou­vement ; que la biologie avait prouvé que la Vie était un mode de mouvement de la matière ; le protoplasme apparaissait donc comme le principe vital ; et cela était sur le point d’être ad­mis par la Société, lorsque le protoplasme qu’elle examinait mou­rut. Ainsi, le principe vital avait donné l’impulsion mais la théo­rie physico-chimique de la vie s’était montrée incapable de rétablir cette même impulsion vitale. Il apparaissait donc évident qu’existait une différence entre quelque chose de vivant et la même chose morte. La même sempiternelle question était de re­tour.

Je préparai ce que j’avais à dire sur la question du mieux que je pus et le présentai à la Société, non sans appréhension. Car, je ne pouvais pas dire ce que je pensais vraiment – et que dirait sans doute n’importe quel humain – sans introduire des concepts étran­gers aux scientifiques triés sur le volet de la société de Washing­ton – tels que Dieu, l’Esprit et l’Âme, comme facteurs ressortis­sant au problème de la vie. Mais sachant pertinemment qu’ils étaient au moins connus de nom, je prononçais en conséquence un discours intitulé « Biogène ».