Je ne pratique pas l’hypnose. Pourtant, lors de processus de type somato-émotionnel, j’ai souvent l’impression de vivre avec mon patient un phénomène de type hypnotique : le patient régresse spontanément dans une partie de son passé plus ou moins lointain qui semble en relation avec son mal-être actuel (et avec l’intention de la séance) et retrouve un incident émotionnellement chargé, parfois avec des images et des émotions très vives, et libère les résidus émotionnels qui semblent le perturber aujourd’hui.

Présentation


Je me suis longtemps demandé comment cela était possible, alors que je n’incite pas particulièrement le phénomène à se produire. Je constatais bien que notre travail, notamment la compression occipitale, fait basculer le patient en parasympathicotonie et fait baisser sa vigilance, ce qui permet à du matériel se trouvant dans l’insu (ainsi appelons-nous la partie subconsciente du mental) d’émerger et de se libérer, mais je n’en saisissais pas vraiment le mécanisme.
Le présent ouvrage, Biographie d’un thérapeute de la transe, m’a apporté des réponses que j’ai trouvées particulièrement pertinentes pour mieux comprendre et du coup, mieux gérer le phénomène.

Son auteur, Adam Crabtree, raconte son histoire de praticien en psychologie utilisant couramment l’hypnose pour aider ses patients et ses tentatives de mieux comprendre les phénomènes hypnotiques. Il constate que n’existe aucune définition réelle de l’hypnose parce qu’on se sert pour la définir des différents phénomènes qu’elle manifeste, tellement nombreux et divers qu’aucun d’eux ne permet de dire ce qu’elle est vraiment.

Il raconte comment il en est venu à définir l’hypnose comme une transe particulière et définit la transe comme un état d’absorption profonde, de focalisation sur quelque chose, accompagné d’abstraction ou d’oubli de tout le reste. Cette définition permet non seulement de définir l’hypnose comme une transe particulière, mais surtout de comprendre qu’au cours de notre vie, nous ne cessons de passer d’un état de transe à un autre : chaque fois que nous focalisons notre attention sur quelque chose, nous nous abstrayons de tout ou partie de notre environnement. Ce phénomène est évidemment plus ou moins intense, mais très réel et surtout particulièrement fréquent.

« Au début de mon exploration des états de transe, je les définissais comme une concentration sur quelque chose avec une diminution correspondante de la conscience de tout le reste. Il m’est rapidement apparu qu’à partir de cette définition de l’état de transe, il s’ensuivait que les transes faisaient en fait partie de la vie de tous les jours. Au cours de nos activités quotidiennes, nous nous focalisons naturellement sur divers objets d’attention et, par le fait même, nous diminuons notre conscience de tout le reste. Face aux circonstances changeantes de notre vie, nous passons constamment d’une focalisation à une autre. Que nous en ayons conscience ou non, les transes sont donc des états naturels et elles définissent, d’une manière très importante, ce qu’est l’être humain. » (Crabtree, 2023, p. 39)

J’ai pris du même coup conscience que le travail que nous proposons sur la présence, avec le contrôle de l’intention et de l’attention n’est rien d’autre qu’une mise en transe particulière et que chaque fois que le patient en cours de traitement ferme les yeux et « rentre dans sa coquille », il se met lui aussi en transe.
Crabtree avait déjà exploré le sujet dans un livre particulièrement intéressant paru en français en 2002 sous le titre Nos états de transe au quotidien publié par les éditions Le Souffle d’Or. Republié en 2005 sous le titre Seriez-vous sous influence ? : Retrouvez votre vraie identité. Il y écrivait :

« Notre culture nous met en transe. Les idées et les images qu’elle produit nous asservissent. La transe est un état étréci de conscience, et la culture la cristallisation d’une façon particulière et limitée de voir le monde. » (Crabtree, 2005, p. 17)

Ce qui est intéressant, finalement, c’est de prendre conscience du phénomène, étape indispensable pour mieux le gérer.

« L’une des conséquences de la longue période de confusion sur la nature de l’hypnose est que l’incroyable richesse du large spectre des états de transe a été sous-explorée. La mystification autour d’une espèce de transe, l’hypnose, a servi à nous distraire, si l’on peut ainsi s’exprimer, de la prise de conscience de l’importance du rôle des états de transe dans notre vie quotidienne et de la façon dont les transes servent de porte d’entrée aux puissantes potentialités de l’inconscient humain. » (Crabtree, 2023, p. 39)

Dans Biographie d’un thérapeute de la transe, Crabtree va plus loin et nous explique que la transe est également un moyen de contacter et d’engager ce qu’il appelle nos ressources subliminales :

« Étant donné que l’état de transe réduit la focalisation de l’attention et donc la conscience, il s’ensuit une évocation automatique des ressources subliminales appropriées à l’objet de l’attention. L’expérience humaine est structurée de telle sorte que toutes les réponses nécessaires pour traiter le sujet de la focalisation sont disponibles. Ces réponses surviennent immédiatement et (sauf empêchement physiologique) de manière infaillible. » (Crabtree, 2023, pp. 69-70).

Nous retrouvons ici un point que nous évoquons souvent lors des stages de formation à l’approche tissulaire, à savoir que les ressources principales sont chez le patient et non pas chez le praticien :

« J’ai découvert deux choses qui ont redonné un sentiment d’efficacité et de cohérence à ma pratique thérapeutique : 1) la connaissance subconsciente que le client a de sa propre vie intérieure, ainsi qu’une profonde sagesse intérieure concernant ce qui est nécessaire à la guérison, et 2) ma propre intuition. » (Crabtree, 2023, pp. 187-188)

Enfin, l’ouvrage se termine avec l’évocation d’un philosophe américain contemporain de William James (et de Still), Charles Sanders Peirce (1839-1914). Voilà ce qu’il en dit :

« Après des années d’étude de ce penseur quelque peu difficile, je suis arrivé à la conclusion que les grandes lignes de sa philosophie, qui est une philosophie entièrement évolutionniste, constituent le cadre général dont j’ai besoin pour rassembler tous les éléments de mes idées telles qu’elles se sont développées jusqu’à présent. En outre, je trouve que la métaphysique de Peirce est la plus convaincante et la plus cohérente, et qu’elle correspond le mieux à ce que j’ai découvert dans mon étude personnelle et professionnelle des expériences humaines. » (Crabtree, 2023, p. 244)

Le plus spécifique et le plus fécond des concepts évolutionnistes développés par Pierce concerne l’omniprésence de ce qu’il appelle l’amour évolutionnaire, non seulement dans l’expérience humaine, mais également dans l’évolution de l’univers lui-même. Il écrit :

La philosophie sortait à peine de sa peau de chrysalide dorée, que la mythologie, proclamait que la grande agence évolutive de l’univers était l’Amour. (Crabtree, 2023, p. 246)

Still et Peirce sont contemporains. Il est probable que Still n’a jamais entendu parler de Peirce, en tout cas, il n’en fait nulle part mention. Pourtant, voilà une philosophie que ne renierait certainement pas Still.

Bibliographie

Crabtree, Adam. 2005. Seriez-vous sous influence ?: retrouvez votre vraie identité. Barret-sur-Méouge: Le Souffle d’or. 
Crabtree, Adam. 2023. Biographie d'un thérapeute de la transe, traduction et édition Pierre Tricot.