Le contexte
Peyralade et Quéguiner font partie des pionniers – discrets – de l’ostéopathie française. Dans le courant des années 1960, ils se sont formés auprès de Paul Gény. Avec quelques autres, dont Bernard Barillon, ils ont poursuivi leur formation avec un ostéopathe anglais Denis Brookes, passionné d’ostéopathie crânienne et en 1964, ils ont réussi le tour de force de faire venir un groupe de trois ostéopathes américains Harold I. Magoun, Viola M. Frymann, Thomas F. Schooley, tous élèves directs de Sutherland, pour enseigner les bases de l’ostéopathie crânienne. C’était la première fois que des ostéopathes américains acceptaient de venir enseigner l’ostéopathie crânienne en pays étranger et à des non-médecins.
Ostéopathes américains en France, en 1964
Assis, de gauche à droite :
Thomas Schooley, Viola Frymann, Harold I Magoun.
Debout, à l'extrême gauche, René Quéguiner.
A l'extrême droite, Francis Peyralade, Bernard Barillon.
Vers la fin des années 1960, à l’instigation d’Harold Magoun, Quéguiner et Peyralade ont créé une association type 1901, l’AERTK (association d’étude et de recherche de techniques kinésithérapiques) – il n’était en effet pas question à cette époque d’une ostéopathie indépendante de la kinésithérapie, idée qui n’a commencé à germer que dans le début des années 1980 avec la création du Registre des Ostéopathes de France (ROF) en 1982. Dans le début des années 1980, l’AERTK est devenue SERETO (Société d’études et de recherches de techniques ostéopathiques). C’est de ce courant qu’est issu le CETOHM (Collège d’enseignement des techniques ostéopathiques Harold Magoun) à la création duquel j’ai activement participé en 1987.
Mais revenons à Viola Frymann. J’ai coutume de dire, lorsque je me présente en début de stage, qu’au moment où je l’ai rencontrée, j’étais prêt à abandonner l’ostéopathie. Il faut dire que dans le début des années 1970, s’entendre dire (entre autres) que le crâne bouge et que même si ses mouvements sont ténus, on peut les ressentir, avait de quoi dérouter le jeune diplômé en kinésithérapie que j’étais. D’autant plus que, quoi que je fasse, quelle que soit la manière dont je m’y prenais, je ne sentais strictement aucun de ces mouvements... Mes enseignants semblaient tellement convaincus de l’existence du mouvement crânien et le percevoir avec une telle aisance que j’acceptais de ne pas rejeter l’idée d’emblée. Mais j’avais beau leur accorder une naturelle confiance, mon incapacité à le percevoir me faisait douter de la véracité du concept. J’en venais à penser qu’il s’agissait d’un « truc d’illuminés » et qu’apparemment, j’avais échappé à l’illumination.
Pourtant, ce qui m’était présenté et demandé d’expérimenter par ailleurs en ostéopathie était séduisant et me semblait cohérent.
Sur le plan pratique, le peu que j’avais appris en ostéopathie (le massage neuromusculaire, les techniques articulaires), était déjà tellement plus efficace que ce que j’avais appris à faire en kinésithérapie que je n’avais aucun doute sur la justesse de l’approche.
Sur le plan conceptuel, les fondements de l’ostéopathie, la globalité, en particulier me « parlaient » vraiment. Même si à cette époque, la globalité était essentiellement corporelle, elle était pour moi, issu du cursus kinésithérapique, quelque chose de nouveau, de cohérent et de séduisant.
Tous ces points positifs m’ont permis de ne pas rejeter d’emblée le concept crânien, même s’il me paraissait ésotérique : pourquoi des gens si pragmatiques et efficaces dans leurs propos et leur pratique me raconteraient-ils des « salades » relativement au concept crânien ? Plutôt que de les mettre en cause, je me suis mis moi, en cause, en pensant que j’étais sans doute mal construit, mais cela ne m’a apporté aucune aide...
La rencontre
Avant de décider d’abandonner, je me suis laissé le sursis d’assister à ce stage avec Viola Frymann. Inutile de dire qu’elle jouissait déjà parmi les ostéopathes d’une renommée importante. Je fus d’emblée surpris et séduit par la simplicité de son abord, sans ostentation ni chichi. Ce n’est pas elle qui faisait du chichi, mais les gens qui s’empressaient autour d’elle...
Je fus également surpris, en l’entendant parler d’ostéopathie, de tout de suite comprendre ce qu’elle disait. Énoncées par elle, les choses semblaient simples, cohérentes, évidentes, ce qui n’était pas toujours le cas lorsque c’était mes maîtres français qui les présentaient. Je ne leur jette aucunement la pierre, conscient qu’ils avaient par rapport à nous seulement quelques années d’antériorité et qu’ils faisaient honnêtement tout ce qu’ils pouvaient pour transmettre ce qu’ils avaient compris. Tout le monde n’est pas automatiquement doué pour la pédagogie et je sais qu’ils ont fait de leur mieux et leur en suis très reconnaissant.
Les propos de Viola, si simples et cohérents m’ont vraiment conforté dans l’idée que malgré les difficultés que je rencontrais, l’ostéopathie était une bonne voie et qu’il me fallait persister. Elle semblait également bien comprendre notre difficulté à ressentir les mouvements crâniens, nous disant même qu’elle avait connu les mêmes et qu’avec de la persévérance et de l’application, nous finirions nous aussi par les ressentir.
Par ailleurs, dès ce premier contact avec elle, j’ai immédiatement ressenti une qualité d’être que je ne pouvais nommer, mais qui je discernais : il semblait ne pas y avoir chez cette personne de hiatus entre le discours philosophiquement séduisant et le comportement. Et cela n’était pas toujours le cas chez nombre d’ostéopathes que je côtoyais alors. Cette qualité d’être m’a touché et j’ai d’emblée estimé qu’elle devrait être telle chez tous les ostéopathes.
Juillet 1972 : Viola Frymann entourée de René Quéguiner et Francis Peyralade et du groupe d'étudiants
Un contact direct
Une dernière chose : les deux premières fois où je l’ai rencontrée, c’était au sein de petits groupes (une vingtaine de personnes), ce qui a permis un véritable échange entre elle et nous. Par la suite, cela n’a plus été possible de manière aussi conviviale, à cause du nombre de participants beaucoup plus important.
Comme nous étions en petit nombre, Viola pouvait consacrer un peu de temps à chacun lors des pratiques. Et j’ai ainsi eu la chance d’avoir ses mains sur ma tête. Je ne m’attendais pas à une « infusion de l’esprit » mais ce court contact s’est révélé pour moi fort instructif. La première chose qui m’a interpellé, c’est la qualité du contact, tout sauf léger. Une main très juste, mais très ferme aussi, contrastant avec le contact particulièrement « léger » que pratiquaient nos professeurs et qu’ils nous demandaient de respecter : « Surtout, n’appuyez pas ! » Eh bien Viola, elle, elle appuyait, mais effectivement, cela n’était pas du tout inconfortable, au contraire.
La seconde chose qui m’a marqué, c’est le ressenti qui dépassait de très loin la région du crâne. Il se passait manifestement des choses dans le corps, que je ne pouvais nommer, mais que je ressentais bien réelles. Cela m’a confirmé qu’il valait la peine de continuer dans cette voie.
De plus, le fait d’avoir senti les mains de Viola très « présentes » sur et dans mon crâne, me poussa à m’autoriser à expérimenter de « rentrer » dans les crânes des patients. L’erreur que je commis au début, c’est le faire trop vite. En conséquence, je ressentais quelque chose de très dur sous les mains et je n’avais aucune perception de mouvement. Puis, progressivement, j’appris à le faire plus lentement, voire très lentement et je commençais à percevoir « quelque chose ». Le problème était que cela n’avait rien à voir avec ce que l’on me demandait habituellement de ressentir, à savoir, flexion/extension et/ou rotation externe/rotation interne. Lorsque j’évoquai ces perceptions devant mes enseignants, ils poussèrent des hauts cris, estimant que ça n’avait pas de sens et qu’il fallait laisser tomber. Je me retrouvai donc dans le doute. Il me fallut plusieurs années encore pour en sortir et finalement accepter de faire avec ce que je ressentais.
Mais revenons à Viola. Grâce à Francis Peyralade, j’ai eu, lors des premiers stages, la possibilité de dîner plusieurs fois à la même table et de participer à des échanges (ou plutôt d’en être témoin) impossibles autrement. Nous avons pu évoquer nos difficultés de palpation et à nouveau, elle nous a rassurés en nous disant qu’elle avait connu les mêmes lorsqu’elle avait commencé, qu’elle avait réussi à les vaincre et que nous pouvions donc nous aussi y parvenir. Cela ne nous donnait pas de solution, mais au moins de l’espoir, contrastant avec le constat si souvent entendu : « T’es vraiment une chèvre... »
Viola Frymann et Francis Peyralade traitant un enfant
Très jeune déjà...
Nous avons pu la questionner sur son chemin et elle a volontiers répondu, expliquant qu’anglaise d’origine, elle avait découvert l’ostéopathie très jeune (elle avait 4 ans) alors que son père avait déclaré une tuberculose. Il fut traité par un ostéopathe qui lui proposa, entre autre, de modifier son alimentation. Il devint végétarien et toute la famille avec lui et toutes ces mesures l’aidèrent considérablement. Voilà la raison pour laquelle, nous dit-elle, elle était devenue végétarienne. Pas de sectarisme de sa part, simplement le constat que cela avait amélioré considérablement l’état de santé de la famille et qu’elle avait par conséquent continué dans cette voie.
Il semble également que cet épisode ait été déterminant dans sa décision de devenir médecin. Elle fit ses études de médecine à Londres et y reçut son diplôme de docteur en médecine. Elle exprima qu’elle avait ressenti très rapidement de la frustration face à l’inadéquation du système médical. Elle déplorait la manière dont les patients étaient traités – on ne s’intéressait qu’à leur maladie – alors que dans le même temps, leurs émotions, leurs systèmes de croyances et leur esprit [âme] étaient complètement ignorés. Elle était horrifiée du recours abusif aux médicaments et de leurs nombreux effets secondaires toxiques et estimait qu’il devait exister une meilleure voie. À cause du chaos de l’après-guerre, elle ne put entamer sa formation d’ostéopathe sur place et partit pour la Californie, s’inscrivit au College of Osteopathic Physicians and Surgeons de Los Angeles dont elle sortit diplômée en 1949. Son diplôme de médecin la dispensant d’un certain nombre de cours, elle avait profité de ce temps libre pour visiter des ostéopathes travaillant sur Los Angeles et pour apprendre auprès d’eux l’approche ostéopathique manuelle. Après son diplôme, elle exerça comme médecin ostéopathe pendant de plusieurs années. Mais vers la fin des années 1940, elle vécut une expérience transformatrice.
Décès de son fils Paul
La naissance d’un fils, Paul, avait été particulièrement longue, difficile et traumatisante. L’enfant pleurait, inconsolable, avait des difficultés de digestion et des vomissements incontrôlés. En 1949, elle consulta les meilleurs médecins de San Diego. Elle essaya la médecine conventionnelle et les médecines alternatives, sans succès. Malgré tous ses efforts, son enfant mourut de manière inattendue, dans ses bras.
Hébétée et traumatisée par la mort de ce premier enfant, elle chercha des réponses. Alors qu’elle était encore étudiante au collège de Los Angeles, elle avait entendu parler d’une forme nouvelle d’ostéopathie révolutionnaire et particulièrement controversée proposée par un ostéopathe du Minnesota, William G. Sutherland, affirmant que le crâne présentait des mouvements ténus mais perceptibles. Les enseignants de son collège s’étaient montrés très sceptiques, hostiles même vis à vis de cette approche.
Rencontre de William Sutherland
En 1950, le Dr Sutherland déménagea pour pratiquer en Californie et Viola Frymann décida d’assister à son cours de base de deux semaines.
Une des conférences de Sutherland changea brutalement sa vie et son ostéopathie. William Sutherland décrivait avec des détails anatomiques très précis les conséquences d’une naissance traumatique produisant les symptômes exacts présentés par son jeune fils peu de temps avant sa mort. Sans connaître l’histoire de Paul, le Dr Sutherland décrivait les symptômes qu’il avait manifestés ainsi que les procédures ostéopathiques spécifiques permettant de soulager la condition. Viola était convaincue que si ces techniques avaient pu être appliquées à son fils, sa mort aurait probablement pu être évitée.
Malgré les difficultés qu’elle avait à ressentir le moindre mouvement dans les os du crâne, elle finit, à force de visites chez le Dr Sutherland à Pacific Grove en Californie, par commencer à percevoir et reconnaître les petits mouvements, presque imperceptibles des os du crâne. Elle découvrit également rapidement que ces mouvements avaient des effets très importants sur la plupart des processus de la vie.
En appliquant les principes et techniques de William Sutherland et en observant les résultats presque miraculeux survenant chez les patients, Viola Frymann se convainquit de l’efficacité de l’approche. Elle étudia intensément auprès de Sutherland au cours de la dernière année de sa vie (il est décédé en 1954). Il était convaincu que son approche concernait particulièrement les enfants et lui promit de lui enseigner tout ce qu’il avait appris. Tout cela détermina Viol Frymann à faire en sorte qu’aucun enfant ne souffre inutilement des conséquences du traumatisme de la naissance, lequel pouvait être efficacement traité par ostéopathie (sa promesse).
En 1963, elle a publié la première recherche scientifique documentant les conséquences du traumatisme de la naissance de 1250 enfants. Elle y notait que bien que plus de 80 % des enfants aient subi une naissance traumatisante, 10 % seulement avaient subi un traumatisme suffisamment sévère pour résulter en des symptômes menaçant leur vie comme ceux présentés par son fils que la médecine ne comprenait pas et ne savait pas traiter. Je l’ai souvent entendue dire qu’il n’est pas plus normal pour un enfant de vomir ou de régurgiter après un biberon qu’il est normal pour un adulte de vomir après un repas.
Son rêve
Dans les années 1970, Viola parlait déjà de son rêve : créer un centre d’accueil et de traitement des enfants en difficulté et leur assurer un suivi ostéopathique. Elle désirait ainsi honorer la promesse qu’elle s’était fait à elle-même de tout faire pour que ce qu’avait vécu son fils décédé si jeune ne se reproduise pas. À cette époque déjà, elle cherchait à réunir des fonds en vue de l’établissement de ce centre de soins. Une grande partie des honoraires qu’elle demandait pour animer des stages et des conférences était consacrée à ce projet.
l’ Osteopathic Center for Children verra finalement le jour en 1982.
Son enseignement
Bien évidemment, son enseignement tournait essentiellement autour de l’application de l’ostéopathie, notamment crânienne, à l’enfant. Elle était extrêmement précise et exigeante quant à l’acquisition des données fondamentales d’anatomie et de physiologie, mais elle avait l’art de les appliquer à la logique ostéopathique, ce qui rendait ses conférences très claires et particulièrement attrayantes.
Mais son enseignement allait bien plus loin. Dans les années 1970, elle n’hésitait pas à parler des autres dimensions de l’être humain (mentales et spirituelles). Grâce à Francis Peyralade, j’ai pu à ce moment me procurer et lire des textes qu’elle avait écrits pour des revues ostéopathique ou autres. Je les ai traduits pour les membres de notre groupe et j’y ai découvert une dimension philosophique et spirituelle de l’ostéopathie que je ne soupçonnais pas à cette époque et qui m’a particulièrement séduit.
Par exemple, dans un article Pour un patient global, un praticien global1, elle écrit :
Devenir médecin suppose l’acquisition des gestes techniques essentiels, l’acquisition d’un vaste corps de connaissance, et le passage d’examens. Pourtant, cela pourrait être comparé aux briques constituant les murs d’une maison ; elle ne sont pas suffisantes pour créer un foyer ; de même, ce savoir ne fait pas un médecin. Le temps compris entre l’inscription et le jour du diplôme devrait être mis à profit pour se découvrir soi-même comme médecin et parvenir à l’harmonie avec le patient. Du temps devrait être consacré à contempler le cosmos et la personne. Un axiome hermétique dit que « ce qui est en haut est en bas ». On devrait donner la possibilité de contempler la vie dans le présent et l’au-delà, d’explorer les événements invisibles survenant au moment de la conception, de la naissance, de la mort. Le jeune diplômé ne sera capable de consoler ses patients et de leur venir en aide que s’il reconnaît réellement le patient, dans toute l’acception de ce terme. Albert Schweitzer appelait cette attitude « respect de la vie ». Pour connaître le patient, le praticien doit se connaître lui-même.
Voilà un propos qui ouvre l’espace à la réflexion !
Et dans le même texte :
De cela émergent de nouvelles dimensions pour le diagnostic et le traitement, et de nouveaux instruments de diagnostic doivent être forgés. Pour déterminer la taille, la forme, la position et la nature d’une grosseur au sein, le médecin peut la palper, la mesurer, et avoir recours à différentes techniques physiques pour déterminer sa nature. Pour déterminer la nature d’un dysfonctionnement émotionnel, le médecin doit entraîner son habileté diagnostique palpatoire émotionnelle que l’on pourrait appeler conscience. Une telle palpation peut être accomplie en même temps que la palpation physique, mais elle peut aussi l’être sans contact ou communication physiques. Lorsque le médecin se tient au chevet du patient, les champs émotionnels du patient et du médecin s’interpénétrent. Il serait même meilleur de dire qu’ils s’écoulent l’un dans l’autre, et fournissent, s’ils sont utilisés consciemment et de manière avisée, un canal pour le diagnostic et la guérison.
Un vaste domaine étiologique peut se révéler au médecin perceptif et éveillé. La désolation consécutive à la perte d’un être aimé peut être le fondement de la tumeur du sein, orientant ainsi le praticien vers le traitement de la cause sous-jacente autant que vers l’approche immédiate du mal évident.
Dans un autre texte, Le développement du concept ostéopathique étendu2, évoquant une de ses patientes souffrant de migraines particulièrement intenses, elle écrit :
L’évolution de cette maladie dévoile plusieurs aspects du concept de l’ostéopathie étendue. Il y a d’abord l’aspect structurel provenant d’un traumatisme sévère, puis l’aspect chimique résultant d’une nourriture pauvre, l’aspect émotionnel dû au ressentiment, à la colère refoulée et à l’obstination, l’aspect mental de schéma immuable, il y a aussi la difficulté à laisser la puissance du spirituel guérir et changer sa vie entièrement. Combien d’entre nous veulent être soulagés de leurs maux mais ne pensent pas à changer leurs précieuses habitudes de vie, leurs sentiments, leurs pensées, oui, et même leur foi.
[…] La vraie cause des manifestations maladives ne peut être perçue physiquement par la conscience que quand les blocages des mouvements sont supprimés. Ceux-ci peuvent être des blocages structurels ou physiques. Quand les mouvements de la structure sont libérés, les causes conscientes et inconscientes reviennent à la surface, pourvu que le praticien puisse offrir une atmosphère propice à une telle purification. Nous avons appris à fournir les conditions structurelles pour que le corps se normalise de lui-même. Nous sommes prêts maintenant à apprendre comment laisser les émotions et le mental se régulariser, quand la lumière fluide commence à couler, dans chaque partie de l’être.
Voilà une ostéopathie de belle dimension !
Sur Still
Elle citait beaucoup Still et Sutherland. Or, bien que cela puisse paraître aujourd’hui paradoxal, nous ne connaissions pas Still. À cette époque, il était très difficile de se procurer ses livres et ceux qui les avaient les gardaient jalousement sur les étagères de leurs bibliothèques privées. Pour nous, Still était un personnage d’un autre âge avec lequel nous n’avions pas de lien. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à lire et à traduire Still, dans la fin des années 1990 que j’ai découvert que cette dimension était vraiment stillienne ! Une dimension délibérément occultée pour des raisons de « bienséance scientifique » et de reconnaissance.
Dans une The Law of mind, matter and motion, Conférence à la mémoire du Dr Scott3 , elle écrit à propos de Still :
Combien parmi vous ont lu son Autobiographie ? Si vous l’avez lue il y a longtemps, reprenez la, comme je l’ai fait et vous y découvrirez aujourd’hui énormément de choses que vous n’aviez pas remarquées auparavant. Si vous ne l’avez jamais lue, une expérience inspirante vous attend, car à moins d’avoir souffert, exploré et découvert comme le Dr Still, comment pouvez-vous comprendre le concept ostéopathique et concevoir la destinée de la profession ? Considérons un autre aspect de ce grand homme. Attachons-nous à le mieux connaître ; nous pourrons ainsi mieux comprendre l’immensité de son enseignement. « Dès ma plus tendre enfance, j’ai été visité par des visions nocturnes. »4 « Je suis ce que les gens appellent parfois un ‛inspiré.’ Nous autres, méthodistes disons ‛intuitif.’ D’autres ont des noms différents pour cela – clairvoyant, clairaudiant. »5 En 1898, à la question « Qui a découvert l’ostéopathie ? », il a répondu : « Il y a vingt-quatre ans – c’est-à-dire 1874 – le vingt-deuxième jour de juin, à dix heures, j’ai perçu une petite lumière sur l’horizon de la vérité. D’après ce que j’ai compris, elle fut placée dans ma main par le Dieu de la nature. Cette lumière montrait sur sa face l’inscription suivante : ‛ Voilà Ma bibliothèque médicale, Ma chirurgie et Mon obstétrique. Voilà Mon livre, avec toutes les directions, instructions, doses, tailles et quantités devant être utilisées dans chaque cas de maladie et de naissance, au commencement de l’homme ; dans l’enfance, la jeunesse et à l’âge du déclin.' »6
C’était un homme d’une profonde conscience spirituelle. Il ne prêchait pas la religion, mais il connaissait Dieu et le reconnaissait comme source de toute vérité. « Dieu est le père de l’ostéopathie » écrivit-il et « Je n’ai pas honte de l’enfant de sa pensée »7. Plus tard, il admonestait ainsi ses étudiants : « Dans ce travail, nos résultats dépendent absolument de la loi divine »8. Il dit : « Je ne crains pas que suivre une loi conçue par Dieu m’éloigne de lui. Chaque avancée en ostéopathie nous conduit à une plus grande vénération du Divin Souverain de cet univers. »9
Ces citations m’ont vraiment intrigué et poussé à aller vers Still et à lire, puis à traduire Autobiographie et ses autres livres, ou les ouvrages parlant de lui...
La Russie
En 1988, Viola fut désignée par l’American Osteopathic Association (AOA) pour représenter l’ostéopathie lors d’échanges scientifiques entre américains et soviétiques. Elle présenta l’ostéopathie à l’Institut de Recherches en Orthopédie et Traumatologie de Saint-Pétersbourg devant un aréopage de chirurgiens quelque peu sceptiques. Quelques traitements ostéopathiques sur des enfants dont les cas étaient réputés difficiles impressionnèrent suffisamment les médecins russes pour qu’à l’invitation du Pr Vladimir Andrianov, elle soit sollicitée pour venir enseigner en Russie et pour accueillir des praticiens russes en Californie pour travailler avec eux. À l’automne 1991, elle a commencé à donner des enseignements d’ostéopathie à Saint-Pétersbourg. Mais ne pouvant répondre seule à la demande pressante, elle a demandé à Francis Peyralade et à Roger Caporossi de prendre le relais. Tous deux ont a assuré des cours de formation à l’ostéopathie en Russie et aidé à la création du premier collège d’enseignement de l’ostéopathie (1994) l’École Supérieure Russe de Médecine Ostéopathique à Saint-Pétersbourg, constituée avec le soutien de l’Académie des Sciences Médico-technologiques de Russie. Francis Peyralade a fait plus qu’enseigner puisqu’il a activement participé à des recherches sur l’application de l’ostéopathie chez le nouveau-né, menées au laboratoire de neuro-physiologie de l’enfant à l’institut Sechenov de Saint-Petersbourg. Ces recherches ont abouti à la vérification du bien-fondé de l’ostéopathie appliquée au nouveau-né et au jeune enfant.
Une vie bien remplie, au service de l’ostéopathie
Jusqu’à 2013, date qui marque la fin de sa vie professionnelle, Viola Frymann n’a cessé d’œuvrer pour faire connaître et développer le concept ostéopathique dans le monde entier.
La voilà partie maintenant, mais cela ne me rend aucunement triste. Son décès est dans l’ordre des choses et vient mettre un terme à une vie particulièrement bien remplie au service de ses congénères. Je sais que nous sommes des êtres spirituels qui voyageons de corps en corps pour notre évolution personnelle et celle de nos comparses. En pensant aux milliers de gens, praticiens et patients, auxquels elle a apporté une aide remarquable, la seule conclusion qui me vienne tient en ces simples mots : merci Viola !
Bibliographie
1. The Journal of Holistic Medicine, Vol. 2, N° 1 pp. 15-19 Spring/Summer 1980.
2. The development of the expanding osteopathic concept. AAO Yearbook 1972 pp. 19-22.
3. The Law of mind, matter and motion Conférence à la mémoire du Dr Scott AAO Yearbook 1973, pp. 13-22.
4-9 Autobiographie d'A. T. Still, Sully Vannes, 1998-2008 ISBN: 978-2-35432-091-1