C’est le 22 juin 1874 qu’Andrew Taylor Still dit avoir découvert, et non inventé, l’ostéopathie, dont il développera la pratique et les principes dans le Missouri (USA) jusqu’à sa mort en 1917.
Dans ce carnet de voyage, je vous propose de vivre, comme si vous y étiez, mon séjour de 4 jours à Kirksville, là où le « vieux docteur » a créé la première école d’ostéopathie en 1892. J’y ai été guidé à plein temps par Jason Haxton, directeur du musée de l’ostéopathie de l’Andrew Taylor Still University depuis l’an 2000. Il est certainement la personne qui connaît le mieux l’histoire de l’ostéopathie sur Terre aujourd’hui.
Vous y découvrirez ainsi de nombreuses explications et anecdotes concernant le créateur de l’ostéopathie, le contexte historique du développement de la profession, ses principaux protagonistes, la naissance de la chiropraxie ou encore le premier sanatorium ostéopathique de Maçon. Le récit est ponctué par plus de 100 photographies et illustrations issues de mon voyage ou de mes recherches.
Étudiants ou diplômés, avec plus ou moins d’expérience, simples curieux… ce livre s’adresse à tous ceux qui veulent en savoir plus sur l’histoire de l’ostéopathie. Dans une période où le développement de la profession divise plus que jamais, je vous propose de vous replonger, à l’aide de ce récit inédit, dans ce qui nous unit tous : nos racines, nos origines.
Introduction Loïc Rodrigues
À l’heure où je rédige ces lignes, plusieurs mois se sont écoulés depuis mon voyage mais les souvenirs sont toujours aussi forts. Plusieurs mois pour digérer mon retour en France et mon installation professionnelle dans un premier temps, de nombreuses semaines de travail ensuite pour traduire, éditer, sous-titrer puis partager l’interview de Jason que j’ai réalisé avant d’enfin m’attaquer sérieusement à la rédaction de ce livre. Son écriture avance tranquillement jusqu’au 9 septembre 2022, jour où le disque dur de mon ordinateur décide de rendre l’âme. C’est un drame. Après avoir consulté plusieurs Informaticiens puis envoyé mon disque dur dans une entreprise spécialisée dans la récupération de données à l’autre bout de la France, le verdict est sans appel : le disque dur est inexploitable et les données perdues. J’étais prêt à payer les centaines d’euros réclamées par l’entreprise s’ils parvenaient à récupérer mes sauvegardes parce qu’elles sont pour mol d’une valeur inestimable. Je ne pourrais jamais réécrire, me souvenir de tous ces détails que j’avais pris volontairement en note sur place. M’en voulant terriblement de ne rien avoir sauvegardé sur un drive, je m’en vais consulter ce qui est présent sur le mien, chose que je n’avais même pas faite jusqu’alors tant j’étais persuadé de ne jamais l’avoir enregistré. Je reste bouche bée quand je découvre un brouillon de mes premières notes réalisées sur place. J’imagine qu’un éclair de génie m’avait fait les sauvegarder depuis Kirksville. J’ai perdu des heures et des heures de rédaction mais l’essentiel est là : la trame d’information. Je peux me remettre au travail.
J’ai fait le choix de raconter mon périple sous la forme d’un carnet de voyage pour retranscrire de la manière la plus authentique l’expérience que j’ai vécue et qu’il me semblait important de partager. Cela peut expliquer que les informations soient nombreuses, qu’elles n’apparaissent pas toujours dans un ordre chronologique au sens historique du terme. Il est évident que des connaissances de base quant à l’histoire de l’ostéopathie et ses principaux protagonistes comme Andrew Taylor Still faciliteront la compréhension de mon récit. Ce livre est l’aboutissement de beaucoup de travail et j’espère que vous prendrez autant de plaisir à le lire que j’en ai eu à l’écrire et à faire mes recherches.
J’ai essayé d’écrire un livre auquel j’aurais aimé avoir accès en tant qu’étudiant puis jeune ostéopathe, sous une forme originale, abondement illustré, qui retrace un maximum d’informations historiques dont certaines n’ont jamais été mises en lumière auparavant dans la littérature francophone à ma connaissance. J’espère que celui-ci vous éclairera sur cette partie de l’histoire ostéopathique, vous donnera envie de vous y (ré-)intéresser voir même de vous rendre à Kirksville, ce qui est, je pense, une expérience unique dans la vie d’un ostéopathe.
Je n’ai pas la prétention d’apporter la vérité sur toute cette partie de l’histoire ostéopathique, j’espère simplement faire profiter au plus grand nombre de la richesse d’informations que Jason a pu me transmettre oralement. À une époque où l’Evidence Based Practice (EBP) prend une place de plus en plus importante au sein de la profession, j’espère remettre, à mon échelle, l’histoire et la philosophie ostéopathique au premier plan, pas pour les opposer à l’EBP mais pour une compréhension plus globale de ce que nous sommes. Les vérités scientifiques évoluent sans cesse, là où la philosophie ostéopathique traverse les époques. Elle est d’après moi l’essence de notre métier et a été nourrie dans mon cas par ce travail de recherche. Je conseille d’ailleurs à tous les ostéopathes qui oseront se plonger dans ce livre de se poser la question suivante : en quoi cette lecture pourrait influencer ma pratique quotidienne au cabinet ? Je crois que c’est ici que se trouve la réelle plus-value de ce récit. Oui les éléments historiques sont culturellement intéressants à connaître, mais ils peuvent surtout nous permettre de devenir de meilleurs ostéopathes. J’en suis en tout cas personnellement persuadé.
La transmission orale et les écrits sont ce qui nous lie à cette histoire et je crois qu’il est crucial de s’y intéresser. Mieux connaître et comprendre nos origines pour construire un futur plus pérenne à l’ostéopathie. J’ai essayé de transmettre les informations que l’on m’a partagées de la manière la plus transparente possible. Si certaines anecdotes ne vous semblent pas d’une importance cruciale, elles n’ont pour vocation que d’être des faits que je considère appartenir au contexte historique du développement de l’ostéopathie. Ce texte, que j’espère pragmatique, n’a pas pour objectif de détériorer la mémoire de qui ou de quoi que ce soit.
À la fin du récit chronologique de mon voyage, je vous ai partagé notamment une frise chronologique de l’histoire ostéopathique qui s’étend de 1828 à 2002, un arbre généalogique annoté de la famille d’Andrew Taylor Still ainsi qu’un index des noms communs qui regroupe une biographie de tous les personnages historiques importants cités dans le récit. Ce sont des ressources inédites en français. Vous pouvez vous y reporter à tout moment de votre lecture pour clarifier votre esprit. Je vous conseille aussi de prendre le temps de lire les notes de bas de page présentes au cours du récit qui vous donneront un contexte plus précis ainsi que des précisions intéressantes quant à la compréhension globale de ce que j’ai découvert à Kirksville.
Bonne lecture, Loïc
préface Pierre Tricot
Quel bonheur de voir de jeunes praticiens s’intéresser à l’histoire de Still, à celle de la naissance et du développement de l’ostéopathie et à sa philosophie !
J’ai personnellement « rencontré Still » en 1997, en essayant de lire Autobiographie. La lecture était tellement difficile que j’ai décidé de le traduire, sans idée de publication, parce que je pensais que vu le temps depuis lequel l’ouvrage existait et que personne ne s’était donné la peine de le traduire et de le publier, il ne devait pas intéresser grand monde. Et à ma grande surprise, cet ouvrage a eu beaucoup de succès, preuve de son intérêt et de son importance.
En le traduisant, j’ai vraiment eu l’impression de rencontrer Still et j’ai été sidéré par l’histoire que je découvrais qui n’avait rien à voir avec ce que je connaissais de la vie des pionniers de l’Ouest américain, associée aux westerns de John Wayne qui avaient ravi mon imaginaire de jeune adolescent des années 1960. Il est difficile aujourd’hui d’imaginer la vie de ces gens, particulièrement difficile, pleine de dangers de toutes sortes avec bien peu de soutien. Il leur fallait se débrouiller seuls, y compris pour leur santé.
J’ai aussi, bien sûr, découvert que face à l’horreur de la maladie et à l’incapacité du système médical de l’époque à fournir la moindre aide efficace, cet homme A. T. Still, avait décidé de trouver un autre chemin pour aider son prochain plus efficacement. Il faut dire que la médecine du Middlewest américain de l’époque était particulièrement frustre, non seulement inefficace, mais particulièrement dangereuse.
J’ai découvert comment Still est parvenu à élaborer un système efficace qui a réussi la gageure de perdurer jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai pu, en effet, m’empêcher de remarquer qu’au cours de l’histoire, en Amérique ou ailleurs, ont existé de nombreux praticiens recourant à des pratiques très diverses et ayant obtenu à leur époque des résultats thérapeutiques parfois spectaculaires et de me demander pourquoi tous ces systèmes apparemment efficaces étaient tombés dans l’oubli. Qu’est-ce qui permet de comprendre que l’ostéopathie a réussi à perdurer ? Et la réponse qui m’est venue est que ce système repose sur une philosophie, c’est-à-dire une manière de concevoir l’homme vivant, philosophie que Still est parvenu à établir en utilisant les références philosophiques et scientifiques de son époque et surtout, son propre bon sens. Cette philosophie nous parle de l’humain vivant et de ce qui est essentiel le concernant. Et malgré les fabuleux progrès scientifiques qui se sont produits depuis cette époque, les éléments fondamentaux concernant l’homme vivant n’ont pas changé. Et voilà, je pense, pourquoi l’ostéopathie demeure aujourd’hui une voie d’abord de l’humain particulièrement pertinente, même et surtout par rapport à la dérive matérialiste du système médical actuel.
Je constate, hélas, que cette philosophie qui a permis justement au système ostéopathique de perdurer malgré toutes les maladresses de ses défenseurs et les attaques de ses opposants est aujourd’hui en train de se perdre : dans l’espoir d’une reconnaissance, les ostéopathes rangent au grenier leurs fondamentaux et oublient ce qui leur est essentiel.
Alors, voir un jeune praticien s’intéresser à l’histoire et à la philosophie de l’ostéopathie, nous rappeler tout ce qu’elle comporte d’essentiel me réjouit profondément.
Puisse cet ouvrage relancer l’intérêt des jeunes professionnels vis-à-vis de leur essentiel : la philosophie de l’ostéopathie, celle qui lui a permis de se maintenir à l’existence jusqu’à aujourd’hui et sans doute la seule garantie qui lui permettra de perdurer encore longtemps.
Pierre Tricot
Posface Ronald Ellis
L’énigme de l’ostéopathie
Le milieu ostéopathique est actuellement polarisé en deux courants qui se font des reproches mutuels. Je vais qualifier un groupe de « traditionaliste » car il se réfère aux fondateurs de la profession ; et l’autre, de groupe « scientifique » puisqu’il se réclame d’une pratique professionnelle basée sur des faits prouvés scientifiquement. Les traditionalistes accusent les scientifiques de ne pas reconnaître l’expérience historique de la profession et les scientifiques accusent les autres d’être pseudos scientifiques et de vouloir conserver des théories obsolètes au regard de l’état actuel de la science.
Je suis tombé dans l’ostéopathie en 1982, la première année où les bacheliers étaient admis aux côtés des kinésithérapeutes dans les écoles françaises. Quand j’ai commencé mes études, il n’y avait qu’un seul livre écrit en français sur le sujet, celui de Raymond Richard sur les techniques vertébrales. Je me suis bien demandé comme j’allais apprendre cette discipline illégale à l’époque et si peu documentée. J’ai demandé de l’aide à mon père aux États-Unis. Il s’est renseigné, car même en Californie à ce moment-là, l’ostéopathie était peu connue. Il a découvert que Still avait écrit quatre livres dont une autobiographie. Il pensait que cela faisait un bon point de départ pour que son fils aborde ses études. J’ai donc entamé mon cursus par cette lecture, puis j’ai lu les autres ouvrages de A. T. Still : La Philosophie de l’Ostéopathie, Les Principes Mécaniques et la Philosophie de l’Ostéopathie, et Recherche et Pratique.
J’ai lu quelque part que Still aurait dit que l’ostéopathie était une philosophie, un art, et une science. L’ordre n’était pas alphabétique, donc j’ai considéré cette énumération comme une hiérarchie, ce qui me confortait dans l’apprentissage que j’avais choisi de réaliser à partir des textes fondateurs.
J’ai été très fortuné de croiser le chemin d’ostéopathes illustres qui ont participé à façonner la discipline, comme Jean-Pierre Barrai, Viola Frymann, John Upledger, et James Jealous. Ils ont tous insisté sur l’importance de connaître l’histoire et la philosophie de l’ostéopathie. James Jealous prétendait même qu’il relisait l’autobiographie de Still chaque année ! Mais ces « grands ostéopathes » nous préconisaient aussi de confronter ces informations à la connaissance scientifique contemporaine. Viola Frymann a même fait construire une machine pour mesurer l’amplitude de la mobilité crânienne dès les années 1960 ! Je suis convaincu aujourd’hui que je me trompais. L’ostéopathie n’est pas seulement une philosophie ; elle est bel et bien la somme des trois composantes de la philosophie, de l’art et de la science.
Il est donc impératif de connaître notre histoire mais aussi la littérature scientifique. Alors je me suis souvent demandé pourquoi les ostéopathes ne lisent-ils pas les textes fondateurs ? Il semble que les livres de Still, bien qu’admirablement traduits en français, effraient nos étudiants. J’ai même entendu que les écoles découragent les élèves de lire ces livres, car trop compliqués pour un lecteur moderne. C’est vrai que Still était un homme du 19e siècle et, de ce fait, comme ses contemporains, il était romantique et poétique. Il s’exprimait par des analogies et des métaphores qui peuvent déboussoler nos lecteurs modernes.
Dans son ouvrage « Sur les traces d’Andrew Taylor Still », Loïc Rodrigues nous conte son aventure à Kirksville, le berceau de l’ostéopathie. Ce récit nous expose l’histoire de l’ostéopathie de façon conviviale et avec beaucoup d’enthousiasme. Espérons que son livre pourra susciter un intérêt pour nos origines de la part d’un public juste alors réfractaire. Loïc nous livre quantité d’informations sur l’histoire des débuts de notre profession ; la définition de l’ostéopathie de la main du fondateur, et dont je ne connaissais pas l’existence, est très précieuse. La description de sa visite au site du sanatorium psychiatrique de Maçon me donne envie d’approfondir le sujet qui n’a jamais été bien exploré. Il nous révèle également plein de « petites histoires » qui je l’avoue m’ont contrarié dans un premier temps. Je ne pouvais m’empêcher de me demander mais où veut-il en venir ? Est-ce vraiment nécessaire de savoir qu’Harry Still était incestueux ou que Littlejohn aimait les femmes plus jeunes que lui ?
C’est un fait avéré, il existait une scission entre Still et son élève John Littlejohn, et cette rupture a eu des conséquences sur l’évolution de l’ostéopathie. Dès le commencement, Il y a eu un clivage entre une ostéopathie sensitivo-perceptive et une ostéopathie rationalo-déductive ce qui fait écho avec le débat qui scinde actuellement l’ostéopathie.
Une fois ma gêne dissipée, j’ai réalisé que ces anecdotes révélées par Loïc m’avalent fait comprendre que Still et les premiers ostéopathes étalent juste des hommes ordinaires, avec les mêmes défauts que nous avons tous. Mais Still a en revanche découvert une discipline extraordinaire. Avons-nous alors posé la mémoire du fondateur sur un piédestal comme sa statue a été dressée sur la place centrale de Kirksville ? Cette pensée m’a, d’une certaine manière, rappelé le mythe d’Œdipe.
Comme le héros grec Œdipe, l’ostéopathie est en quête d’identité, et comme Œdipe, elle a peut-être besoin de « tuer le père », ou du moins de prendre du recul sans considérer ses textes comme parole d’évangile en les replaçant dans leur contexte. Cela pourrait alors lui permettre de faire face à son avenir en conscience, avec une pensée critique libérée du fardeau d’un fondateur. Je pense que notre profession doit se regarder avec une « vision à deux yeux » pour ne pas reproduire les erreurs du passé : un œil qui voit la tradition et l’autre qui voit la science. Puissent les ostéopathes de courants qui semblent si opposés, abandonner leurs égos pour essayer de comprendre que l’ostéopathie est un tout, et que personne ne détient la vérité absolue ? Faute de quoi ces deux courants risquent de s’abolir comme Étéocle et Polynice, les fils d’Œdipe, dans une lutte fratricide pour le pouvoir.
Ronald Ellis
Table des matières
Sommaire
Préface de Pierre Tricot
Préface de Jason Haxton
Introduction
Jour 1 – Lundi 10 mai 2021
Jour 2 – Mardi 11 mai 2021
Jour 3 – Mercredi 12 mai 2021
Jour 4 – Jeudi 13 mai 2021
Interview de Jason Haxton
Postface de Ronald Ellis
Étymologie du mot « Ostéopathie »
Arbre généalogique de la famille Still
Chronologie de l’histoire ostéopathique
Index des noms propres
Carte de Kirksville
Idées de lectures ostéopathiques
Remerciements
Guide des abréviations