La grande braderie
Vous vous souvenez sans doute d’Anaïs et de son Deal du jour : « une séance d’ostéopathie d’une heure pour seulement 25 euros au lieu de 60, soit une remise exceptionnelle de 58% ! » Eh bien, j’ai trouvé mieux ! Oui, oui, c’est possible ! Si, si : un ami m’a transmis l’adresse d’un site Internet appelé L’Ostéopathie pour tous dont l’objectif est de délivrer un enseignement d’ostéopathie « Accessible à tout public, sans connaissance médicale ou anatomique pré-requise. » Une formation « Pertinente également pour les médecins, paramédicaux ou ceux maîtrisant déjà une méthode de soin corporel, permettant de pratiquer à la maison sur vos proches ou de soigner vos patients, en toute sécurité, » une formation « Où l’éducation de la main et de la sensation tient une large place, qui aborde autant l’attitude du praticien et l’approche du corps que le geste technique, » et qui se fait « en deux semaines de 5 jours, du lundi au vendredi, soit 10 journées afin d’étudier toutes les parties du corps... » (je ne fait que reprendre les mots mêmes du site).
Avec Anaïs, Pépère il avait déjà eu un sacré coup de tension, mais là, il a carrément failli avaler son dentier (je sais avec Fixodent, ça n’arriverait pas...).
Je dois reconnaître qu’esthétiquement parlant, le site est plutôt réussi, que sur le plan de l’information, il dit tout ce qu’il y a à dire, simplement, succinctement, mais efficacement. Un véritable travail de professionnel de la communication. Mais à la lecture de certaines informations, il y a de quoi tout de même se poser des questions qui, curieusement, se posent surtout lorsqu’on lit les Réponses aux questions les plus fréquentes.
À la question « Comment est-il possible que cette formation d’ostéopathie soit vraiment adaptée à tous, y compris à ceux n’ayant aucune connaissance anatomique ou médicale ? » il est répondu ceci : « Les techniques que je pratique et enseigne sont des techniques douces et globales. Cela signifie que l’attention palpatoire est dirigée sur une zone étendue. Les mains sont positionnées très ouvertes, de part et d’autre de la partie du corps à traiter. La gestuelle est très lente. Ainsi, il n’est pas nécessaire de connaître tous les détails anatomiques (c’est moi qui met en gras). Les notions indispensables de base sont enseignées pour donner des repères. »
Papa Still (vous savez, le fondateur de l’ostéopathie) doit se retourner dans sa tombe. Il est vrai que depuis sa mort en 1917, il dû se retourner souventefois, au point que si on avait disposé sur le côté de sa tombe un rouleau de bandelettes, il serait très certainement devenu momie...
À la question « Légalement puis-je vraiment utiliser ces techniques ostéopathiques sur des patients ? » voilà ce qui est répondu : « Oui. En France, le terme ostéopathe est protégé et vous ne pourrez donc pas l’utiliser. En revanche, et fort heureusement, il est autorisé de poser ses mains sur un corps souffrant pour le soigner et le soulager : c’est ce que je vous propose et vous pourrez dire que vous pratiquez et maîtrisez des techniques ostéopathiques. Seules vous seront interdites (et non enseignées) les manipulations vertébrales, réservées aux ostéopathes certifiés. » C’est pas beau ça ?
Légal ?
Évidemment la première réaction, c’est de se demander si tout cela est légal, à savoir si Pierre Gœtt créateur et animateur de cette formation est bien ostéopathe et si enseigner l’ostéopathie à n’importe qui est légal. Notre enseignant, se dit ostéopathe DO. Je n’ai pas vérifié auprès de la DRASS mais je suis quasiment persuadé que vu le professionnalisme du site, le bonhomme est bien conseillé juridiquement et ne se lancerait pas dans une telle aventure s’il n’était dans la légalité ou plus exactement sans être certain de n’être pas dans l’illégalité. Il a d’ailleurs, en tant que praticien pignon sur rue, puisqu’il exerce officiellement la profession d’ostéopathe à Aubenas. Bon, alors, est-il légal d’enseigner l’ostéopathie à n’importe quel quidam ? Eh bien je suis certain que là aussi, Pierre Gœtt a été bien conseillé et qu’on lui a dit que si les textes actuels régulent la formation des ostéopathes et leur exercice professionnel, rien n’interdit d’enseigner l’ostéopathie à n’importe qui. Il ne faut donc sans doute espérer aucun recours de ce côté là.
Quelles motivations
Vient ensuite la question de la motivation. L’altruisme ? Hum ! Un beau slogan tout de même : « L’ostéopathie pour tous et dans toutes les mains. » Pourquoi pas ? Mais cet homme est-il inconscient au point de ne pas voir à quel point une telle action peut nuire à la profession qui a déjà bien du mal à s’organiser et à se structurer ? Peut-il ignorer la mal potentiel qu’il peut faire aux gens à qui il va enseigner et qui vont se lancer dans une activité avec une formation à l’évidence insuffisante, et avec tous les risques de l’illégalité (là, c’est certain), et enfin, pense-t-il aux patients qui vont recevoir des soins soit-disant ostéopathiques de la part de gens formés à la va-vite ? Je ne peux pas croire qu’il n’ait pas conscience de cela. Alors si l’altruisme n’est pas la motivation, qu’elle est-elle ? Je vous laisse y réfléchir.
Il fait encore plus fort notre altruiste : il fait paraître un magnifique placart publicitaire sur sa formation dans le magazine Psychologie Magazine ! (page 241 du numéro d’avril). Voilà qui laisse augurer du sérieux de fond de cette revue. Ah, j’oubliais, l’altruisme... A cette lecture, j’ai pourtant craché ma dernière prothèse dentaire...
Des idées
Dans la salle d’attente du prothésiste dentaire que je suis allé immédiatement consulter, j’ai réfléchi et tout cela m’a donné des idées... altruistes. La première a été de donner suite à un rêve que je caresse depuis longtemps (ah les caresses de rêve !), un projet qui me tient à cœur et que je n’ai jamais osé réaliser : la fondation de mon propre collège d’ostéopathie. Si, si. Je sais, il y en a déjà beaucoup, mais au point où nous en sommes, tant qu’on peut exploiter le filon (altruiste évidemment), faisons-le. Je vais l’appeler le COIT (Collège d’Ostéopathie Intra Tissulaire) avec comme sous-titre, « L’apprentissage de l’ostéopathie, enfin un plaisir ! » Mais je proposerai une formation plus courte que celle du site dont nous venons de parler, parce que tant qu’à faire de donner dans l’altruiste, autant ne pas faire perdre plus de temps qu’il n’en faut aux gens qui s’inscriront. On fera ça sur 2-3 jours, ça devrait suffire. Elle est pas belle la vie ? (C’est mieux avec le COIT qu’avec le jambon de Fleury-Michon, non ? Il est vrai que nous n’avons pas le mêmes valeurs...)
Et puis, sur le chemin du retour, une autre idée m’est venue : pourquoi déranger les gens ? Après tout, ce n’est peut-être pas indispensable. Alors, je vais créer une formation par courrier électronique. Je vais l’appeler Ostéomail. Un slogan simple : « Pas la peine de vous déranger. Quelques échanges de courrier suffiront. »
Et finalement, je me suis dit que ce n’est peut-être pas la peine de déranger les gens avec des courriers électroniques. Envoyez-moi votre numéro de carte bleue et je vous renverrai par retour votre diplôme.
Évidemment, je dérisionne (je sais ce verbe n’existe pas, mais je n’en ai pas trouvé d’autre). Comme Boris Vian, je pense que l’humour est la politesse du désespoir. Il est souvent la seule possibilité qu’il nous reste dans les situations inimaginables. Parce que j’ai conscience qu’il n’y a sans doute pas grand-chose à faire à cela. Une chose pourtant m’étonne : c’est que quasiment personne n’ait réagi, notamment parmi les jeunes. Il y a des posts dans les forums, ça râle tant et plus, mais quand on demande : « alors qu’as-tu fait de concret ? » La réponse est : « Rien. » Eh les amis ! Ne voyez-vous pas que ce qui se fait là est non seulement inadmissible sur le plan éthique mais en plus carrément provocateur ?
Comme je l’ai indiqué dans ma lettre ouverte à Anaïs, je fais partie de la génération qui a dû lutter pour obtenir le droit de pratiquer légalement cette merveilleuse approche de la santé qu’est l’ostéopathie. Je comprends qu’il y a saut de génération très important : lorsque j’ai pris mon statut d’ostéopathe démarqué totalement, en 1985, la plupart de celles et ceux qui commencent aujourd’hui leur carrière d’ostéopathe n’étaient pas nés ou encore dans les couches. Je comprends donc que nos luttes d’alors ne signifient pas grand chose pour vous. Mais là, il s’agit de votre avenir professionnel !
Je suis personnellement relativement plus proche de la retraite que de mes débuts et ma place est faite depuis longtemps. Je n’ai rien à redouter d’une formation comme celle de Gœtt et n’ai plus grand-chose à prouver à personne (c’est de toute manière inutile et nuisible de chercher à prouver quoique ce soit...). Mais vous les jeunes ! C’est de votre avenir qu’il s’agit Merde ! Et vous restez là, les bras croisés à râler, sans même lever le petit doigt ? Il a bien raison d’en profiter Gœtt !
Vous n’en avez sans doute pas suffisamment bavé pour devenir ostéopathe et pour avoir le droit de l’exercer légalement. Il est vrai qu’hormis un certain nombre (heureusement, il y en a), qui ont entrepris ces études par passion, convaincus du bien fondé de l’ostéopathie, il y a tous ceux qui se sont engagés là parce que la voie était libre (pas de concours, très peu de sélection, pas de quotas) et ceux qui s’y sont engagés après avoir raté ailleurs et parce que papa et maman avaient les moyens de payer les cursus. Pour beaucoup, elle n’a pas été difficile à obtenir, l’ostéopathie. De plus, on vous a entretenu dans l’illusion qu’une fois le diplôme en poche, les choses rouleraient (comme les BM et les Audi) quasiment toutes seules. Mais c’était sans imaginer ce qu’il est en train de se passer avec la multiplication des collèges agréés et l’effarant nombre de praticiens diplômés qui vont très rapidement saturer le marché. Mais si, en plus, des formations comme celles de Gœtt se mettent à fleurir, quel avenir pour vous ?
Alors que faire ? Je n’ai pas de réponse toute faite. Qui a prévenu les organismes socio-professionnels (s’ils sont au courant, leurs réactions sont confidentielles...) Qui a pris la peine d’écrire à Gœtt (par voie postale ou par courrier électronique) ce qu'il pense de cette action ? Qui a écrit à Psychologie Magazine pour indiquer son indignation ? Qui a décidé d’aller manifester devant les grilles de son centre de formation ? Réveillez-vous les amis. Demain, il sera trop tard. Qui pourra vivre de l’ostéopathie ? La vie, comme toujours en dernier ressort, se chargera de faire le tri. Mais la vie fait très rarement dans la dentelle. Alors bougez-vous et faites quelque chose pour au moins tenter d’endiguer ces entreprises inadmissibles !