Les structures en tenségrité présentent l’avantage d’allier la légèreté (peu de matière) et la résistance aux contraintes mécaniques. En ce sens, elles sont la manière la plus « économique » qu’a trouvé le vivant pour se constituer une structure à la fois déformable et solide.

C’est dans mes mains que j’ai découvert la tenségrité, au cours de mon apprentissage en ostéopathie, en m’apercevant que pour entrer en communication avec les tissus vivants à leur niveau matériel, il fallait que j’aille à leur rencontre en m’accordant à leur densité et à leur tension. J'ai appelé cela l'accord palpatoire. Je sais que je suis correctement accordé aux tissus lorsque j'ai dans les mains une sensation de plasticité ou "déformabilité," même pour des structures naturellement denses comme l'os. La modélisation de cette manière de faire à donné ce que nous appelons les paramètres objectifs de la palpation. Je la vivais sans la connaître, comme M. Jourdain faisait de la prose sans savoir que c’était de la prose.

C’est beaucoup plus tard que j’ai découvert le mot tenségrité, grâce au mémoire de fin d’études ostéopathiques de Jean-François Megret La tenségrité, vers une biomécanique ostéopathique (2003). J’en avais auparavant vaguement entendu parler, sans vraiment m’y intéresser. Ce que j’en connaissais me faisait penser à un concept mécanique et architectural intéressant, sans imaginer que la vie pouvait s’en être emparé pour créer ses structures. Le texte de Megret fut pour moi une révélation. Cela étant, je n’en parlais pas beaucoup, parce que le plus important pour moi, ce n’était pas d’en parler, mais de la vivre et si possible, en tant qu’enseignant d’aider d’autres à le vivre également. J’ai d’ailleurs écrit à ce sujet un article de blog : Tenségrité.
Après Megret, plusieurs auteurs ont publié en français des ouvrages évoquant le lien entre le concept de tenségrité et les tissus vivants et leur palpation. Mais ils ne m’apportaient rien de majeur par rapport ce que je connaissais et surtout vivais déjà dans ma palpation.

L’ouvrage de Graham Scarr est particulièrement intéressant parce qu’il développe le concept de tenségrité dans tous les domaines d’un système vivant, du macro au micro, montrant par là qu’il s’applique à toute structure vivante et permet de bien mieux comprendre son comportement mécanique face à la contrainte.

Je crois même que l’on peut appliquer le concept à la conscience modélisée chez nous par la dualité Je/non-Je qui lui aussi répond à un jeu de compression (Je) – tension (non-Je). J’ai donc trouvé cet ouvrage particulièrement intéressant parce qu’il nous propose des liens cohérents entre ce que nous vivons dans nos mains et une représentation théorique, un modèle de ce qu’il se passe dans les tissus.

Cette seconde édition est largement augmentée – texte et illustrations couleurs – et tient compte des nombreuses dernières recherches internationales dans le domaine.

{tab=Quatrième de couverture}

Le concept de tenségrité – contraction des mots tension et intégrité – a émergé vers le milieu du XXe siècle, d’abord dans les domaines de la sculpture, de l’architecture et de l’ingénierie. Depuis les travaux du chirurgien orthopédiste Stephen Levin, dans les années 1970, puis ceux du biologiste cellulaire Donald Ingber, le terme sous la forme de « biotensegrité » a pénétré le domaine de la biologie où il suscite un énorme intérêt et de nombreux travaux. La biotensegrité a notamment permis de reconsidérer les mécanismes biologiques pour les rendre cohérents avec les lois naturelles de la physique et de comprendre plus profondément l’organisation hiérarchique des systèmes vivants depuis les molécules jusqu’à l’ensemble du corps.

Cet ouvrage se propose de répondre à la question « Qu’est-ce que c’est que la biotensegrité », d’en expliquer les principes de base et de réévaluer l’anatomie et la biomécanique à la lumière de ce concept. Après avoir décrit la géométrie sous-jacente au modèle de tenségrité, il montre comment ce nouveau modèle améliore notre compréhension de la structure biologique et comment il transforme notre vision traditionnelle de l’anatomie et de la thérapeutique.
Des notions classiques deviennent ainsi dépassées comme la dualité musculo-squelettique, le fait de reléguer le tissu conjonctif  et le fascia au rôle de simple support ou d’utiliser le modèle mécanique du levier aux tissus vivants. La biotenségrité donne l’explication la plus pertinente de la mécanique du mouvement, elle montre comment les organismes, même les plus complexes, peuvent être mieux compris grâce à un modèle des plus simples et comment cela conduit à une meilleure compréhension du corps humain en tant qu’unité fonctionnelle intégrée et hiérarchisée.
L’ouvrage, tout en se référant à une grande diversité de structures et d’organismes, met principalement l’accent sur l’anatomie et le mouvement humains, ce qui le rend indispensable pour les anatomistes, les cliniciens, les ostéopathes et thérapeutes manuels, tous ceux qui sont en relation avec le travail corporel et toute personne s’intéressant à la biologie.
Cette seconde édition est largement augmentée – texte et illustrations couleurs – et tient compte des nombreuses dernières recherches internationales dans le domaine.

{tab=Préface de l'auteur}

Préface de l'auteur

Un voyage de mille kilomètres commence par le premier pas.
Lao Tseu

En tant qu’ostéopathe et biologiste intéressé par la mécanique structurale du corps humain, il est rapidement devenu évident que les idées conventionnelles sur le mouvement n’étaient pas en mesure d’expliquer certaines observations faites dans la pratique, sans pour autant discerner une alternative évidente. Dans le même temps, un intérêt permanent pour les motifs et les formes naturelles ne semblait mener nulle part, car n’existait aucun concept primordial pouvant les réunir dans un ensemble. Ainsi, lorsque Us Davies (2004a; 2004b) a écrit quelques articles reliant des formes géométriques simples à des structures anatomiques complexes et proposant les principes de biotenségrité comme explication plus approfondie du corps humain, j’ai été interpellé.
Au cours de la semaine qui a suivi, j’ai extrait de son étagère poussiéreuse, toute l’information collectée sur la géométrie structurelle ; une pièce a plus particulièrement retenu mon attention : un article de Donald Ingber intitulé « The Architecture of Life » (L’architecture de la vie) (1998), que j’avais conservé comme sujet potentiellement intéressant, mais que je n’avais jamais vraiment lu. À la fin de la seconde semaine, je trouvai également des articles écrits par Stephen Levin et reçus son dépliant d’information à propos d’une conférence à venir sur la biotenségrité. J’ai alors commencé à constituer des modèles. Au fil du temps, j’ai découvert que l’écriture était un bon moyen d’organiser mes pensées, et était incroyablement stimulante et j’ai commencé à correspondre et à rencontrer d’autres personnes.
Ainsi, beaucoup de personnes ont contribué à ma compréhension personnelle de la biotenségrité, et donc à ce livre. Stephen Levin, en tant qu’ami et mentor mérite une mention particulière pour sa patience et les nombreuses heures passées à discuter. À ce propos, certaines des idées présentées ici résultent de conversations et de conférences tenues au cours de plusieurs années, mais qui n’ont été que partiellement publiées, de sorte qu’il est difficile de les créditer correctement.
Levin a reconnu la tenségrité comme étant au cœur de l’organisation biologique et à partir de quelques principes premiers, a réfléchi sur ses mérites. Pour démontrer la relation entre la structure, les forces et l’énergie, il a utilisé des modèles simples et développé le concept de biotenségrité comme meilleur moyen de comprendre les structures vivantes complexes. En termes d’évolution, la survie d’un organisme dépend de sa capacité à rester stable à chaque instant de son existence et la persistance de contraintes de cisaillement pendant le développement ne serait pas soutenable, le laissant à la merci de l’effondrement, ce qui signifie qu’un système de levier qui génère de manière inhérente des contraintes de cisaillement constitue un modèle biomécanique tout à fait insatisfaisant. De plus, dans un système de biotenségrité, le concept de muscles agonistes et antagonistes a été reconnu comme plutôt simpliste, idée désormais soutenue par les recherches les plus récentes. Par ailleurs, la description par Levin de la cinématique à chaîne fermée comme système géométrique au cœur de la biotenségrité a désormais beaucoup plus de sens que les équations mathématiques abstraites. Et il y a plus…
Un grand merci également à Danièle-Claude Martin pour l’organisation de la première réunion du Groupe d’intérêt sur la biotenségrité (B.I.G.), pour les nombreuses conversations inspirantes qui en ont découlé, et pour m’avoir permis de réutiliser une photo de son propre livre (2016). Merci à Nic Woodhead, Chris Stapleton, Andrea Rippé, Ian Schofield, Paul Sercu, John Sharkey et à tous les membres du B.I.G. qui ont fourni l’occasion de s’écouter mutuellement, de diffuser et de développer mes propres pensées ; Stephen Levin et John Sharkey ont lu et commenté le manuscrit ; Joanne Avison m’a orienté vers Handspring Publishing ; le soutien de Jayne Riley a favorisé mon intérêt pour l’anatomie fonctionnelle. De plus elle été la première, à suggérer l’écriture de ce livre.
Un merci particulier à mon beau-fils Rory James pour les nombreuses images qui ont permis de saisir les détails essentiels et les qualités éthérées des modèles ; et mon fils Jacob Scarr qui a manipulé certains d’entre eux lors de séances photographiques. Je tiens à remercier Chris Clancy, Donald Ingber, John Sharkey, Theo Jansen et Tom Flemons qui m’ont autorisé à utiliser leurs propres photos ; Gerald de Jong pour a produit une image personnalisée de sa sphère rebondissante ; Don Edwards, Helen Harrison, Stephen Levin et Theo Jansen m’ont permis de prendre des photos d’objets de leurs propres collections ; Maria Gough a fourni une copie haute résolution de l’exposition OBMOKhU de 1921 ; et Vytas SunSpiral a aidé à obtenir le prototype Super Ball Bot, reproduit par NASA Ames/Eric James avec des recherches effectuées par Vytas SunSpiral, Adrian Agogino et George Gorospe de NASA Ames, dans le Dynamic Tensegrity Robotics Lab ; Jonathan Bruce de UC Santa Cruz ; Drew Sabelhaus et Alice Agogino de UC Berkeley ; Atil Iscen de l’Université d’État de l’Oregon ; George Korbel, Sophie Milam, Kyle Morse et David Atkinson de l’Université de l’Idaho ; avec le modèle construit par Ken Caluwaerts de l’Université de Gand.
Je suis également reconnaissant à Craig Nevin pour la disposition des bandes Möbius dans la cuisse et la jambe ; Darren Ainsworth m’a expliqué le fonctionnement du pied de cheval ; David Hohenschurz-Schmidt et Chris Stapleton ont participé à des discussions sur la pertinence de la biotenségrité dans la pratique clinique ; Nic Hedderly a fourni des informations sur l’art constructiviste russe ancien ; Stephen Dibnah a orienté mon attention sur la disposition particulière des bulles à la surface d’une tasse de café brassée ; et à tous ceux, enfin, que j’ai omis par inadvertance. Enfin, et peut-être le plus important est le personnel de Handspring Publishing, avec des remerciements particuliers à Sarena Wolfaard, Andrew Stevenson, Sally Davies et Bruce Hogarth pour leur merveilleux travail dans la production de ce livre.
La biotenségrité offre aux chercheurs, aux enseignants et aux praticiens de tous les courants une compréhension plus profonde du corps humain, et l’intention de ce livre est d’en expliquer les principes de base et de réévaluer nos compréhensions de l’anatomie et de la physiologie à la lumière de ces nouvelles découvertes. Comme chaque partie d’une structure de tenségrité a une influence sur toutes les autres parties, il convient de garder à l’esprit que chaque chapitre s’appuie sur tous les autres pour être pleinement apprécié ; et tel sera toujours le dilemme du novice et la frustration de ceux qui essaient de l’expliquer.
Cette seconde édition continue d’utiliser des motifs et des formes géométriques simples pour guider le lecteur à travers les principes de base (qui sont en fait très simples) mais contient beaucoup de nouveaux matériaux à mesure que le domaine continue d’évoluer. Il ne s’agit pas d’un manuel d’instructions mais d’une réponse à la question fréquemment posée : « Qu’est-ce que la (bio)tenségrité ? » et une perspective personnelle qui reconnaît la nature universelle des formes vivantes et comme la clé d’une meilleure compréhension de leur physiologie.
Graham Scarr CBiol, FRSB, FLS, DO Stapleford, Nottinghamshire, UK.
Avril 2018

{tab=Avant-propos de M. Levin}

Avant-Propos par Stephen M. Levin - L’algorithme de la biotenségrité

Si nous additionnions tous les processus intracellulaires, extracellulaires et organiques qui se produisent en nous à chaque milliseconde de notre vie, le total en serait un nombre incommensurable. Avec tant d’événements survenant simultanément, le nombre d’erreur possible serait également particulièrement élevé. Il doit exister quelque contrôleur, un ensemble de règles directrices qui maintiennent la myriade de processus ordonnée et qui écarte toutes les erreurs inévitables. Dans la construction d’un bâtiment, l’algorithme guide est la gravité et les ingénieurs s’assurent que chaque partie puisse se conformer à ses lois de manière certaine. Nous n’y prêtons habituellement pas attention, mais la gravité en tant que force externe, dicte ce qui peut ou non être inclus dans le bâtiment. Les erreurs dans la conception et la construction doivent être soigneusement évitées parce qu’elles ne peuvent se corriger d’elles-mêmes. La redondance fait partie de la conception. Elle cherche à anticiper la possible défaillance matérielle.
L’algorithme qui dirige l’auto-assemblage des organismes est, au contraire, interne et les organismes ne sont pas fabriqués en utilisant une conception exacte. Ce sont des structures en constante évolution, héterarchiques qui s’adaptent à la volée aux conditions changeantes de l’environnement et s’auto-réparent lorsque les choses ne sont pas totalement correctes. Dans l’impulsion à survivre, elles gèrent toute l’activité avec une efficacité maximum et une élégance minimaliste.
Lors de ma formation de chirurgien orthopédique, la différence essentielle existant entre des bâtiments et les organismes biologiques n’était pas vraiment reconnue. On m’a appris à traiter les fonctions mécaniques du corps en utilisant les principes directeurs de la gravité comme base de toute analyse de l’activité posturale, de toute opération et exercice que je prescrivais. De manière consciente et subconsciente, l’algorithme de la gravité dirigeait toutes mes actions.
Pourtant, il est arrivé un moment où mon expérience clinique, les données de physique de base et le bon sens m’ont amené à suspecter que le modèle dépendant de la gravité utilisé dans la construction des grattes-ciels était incorrect. En étudiant le cou des diplodocus, des papillons, des oiseaux, des singes arboricoles, les pieds des dinosaures et des paresseux géants, de l’organisation des micro-structures vivantes et un assortiment d’humains, il est devenu évident à mes yeux que la gravité n’était pas le principe gouverneur de la biologie. Un algorithme différent était en jeu.
J’ai cherché une force organisatrice commune faisant pour les organismes vivants ce que la gravité fait pour les bâtiments et il m’est venu à l’esprit que le corps devait utiliser comme support interne une ‛structure spatiale’ tridimensionnelle indépendante de la gravité. Dans une structure spatiale, les éléments sont conçus pour se comporter comme des unités intégrales et pour distribuer la charge à travers des triangles emboîtés. Au sein d’une telle structure, les contraintes sont transmises comme charges de tension ou de compression le long de chaque tige (ou entretoise). J’ai alors commencé à rechercher une ‛structure spatiale biologique’.
Une telle structure doit pouvoir fonctionner dans l’eau, dans l’air, sur terre et dans l’espace, à l’endroit où à l’envers et n’être pas dépendante de forces extérieurs pour le maintien de son intégrité structurelle.
En 1974, j’ai été amené observer la Needle Tower de Snelson à l’Hirschhorn Museum, de Washington, D.C. et à reconnaître sa construction insolite et innovante comme le cadre spatial semblant correspondre à ce que je cherchais. Ce fut un moment particulier d’illumination. À partir de ce moment le modèle de tenségrité – biotenségrité – a été conçu, non pas comme une structure, mais comme un modèle de vecteur de forces, un diagramme de forces invisibles servant d’algorithme pour l’auto-assemblage de tout organisme biologique, des virus aux vertèbres, à leurs systèmes et sous-systèmes. L’icosaèdre tensègre et ses différentes déclinaisons et combinaisons n’étaient jamais considérés comme une structure réelle au sein d’un organisme (la Needle Tower ressemble assez vaguement à une colonne vertébrale), mais comme représentant les forces gouvernant l’existence physique du soma d’un organisme. Ces forces sont générées de l’intérieur et doivent continuellement s’ajuster à toute force extérieure imposée au corps.
Dans son livre fondateur, Synergetics, Fuller a conçu son ‛équilibre vectoriel’, incarné sous la forme de l’icosaèdre de tenségrité, (la structure sous-jacente de la Needle Tower), comme un diagramme vectoriel de ces forces. J’ai commencé à concevoir les forces mécaniques internes comme étant le mécanisme moteur « construisant » l’organisme vivant. Le fait de pouvoir construire l’icosaèdre de tenségrité, peut nous amener à penser que les os et les tissus mous du corps sont assemblés de manière analogue. J’en doute. Trop de choses se produisent dans un corps à un instant donné pour accepter l’idée d’une construction statique. En revanche, je crois que le diagramme vectoriel de forces de l’icosaèdre de tenségrité est effectivement le processus algorithmique qui sous-tend la biologie. Bien que les os puissent sembler correspondre aux entretoises de compression, ils sont, comme le reste du corps, des gels de tissus mou pouvant présenter une phase rigide ou souple. Tous nos tissus de support sont des composites et contiennent des éléments qui peuvent, comme dans d’autres cadres spatiaux, séparer la tension et la compression entre les différents composants. Dans les cadres spatiaux biologiques, existe une danse continue des éléments de tension et de compression, avec changement constant de partenaires. Ainsi, la plupart de nos tissus changent de phase (pensez à nos muscles dans différents états de dureté ou à la trompe d’un éléphant ramassant une seule cacahuète ou déracinant un arbre), de sorte qu’avant de considérer une structure interne comme « rigide » ou « accommodante » il convient de poser la question, « quand ? » Plutôt que d’être gouverné par des forces extérieures, notre univers interne, de sa couverture tégumentaire à son centre le plus profond, est dirigé par son propre algorithme, que nous avons appelé « biotenségrité », basé sur la dynamique de l’icosaèdre de tenségrité. La manifestation de l’algorithme, le corps, est une incarnation de ces forces, une structure en constante adaptation, interagissant avec des forces externes, telles que la gravité, et les manipulant pour ses propres besoins.
Nous considérons habituellement les modèles comme des structures architecturales immuables, et avons tendance à penser que les modèles de biotenségrité que nous avons élaborés représentent des structures anatomiques. Nous associons les noms de parties du corps aux forces représentées dans le modèle, mais nous devons être à ce propos très précautionneux. Nommer les forces en tant que structures anatomiques nous amène à concevoir le corps comme une collection de solides linéaires plutôt que comme des structures de matière molle non linéaires qu’elles sont en réalité. Les parties du corps sont des structures semblables à des cristaux liquides et sont aussi éphémères que les images visibles sur l’écran de la télévision, apparaissant à un moment et disparaissant immédiatement. La solidité immuable de notre corps est une illusion. Les modèles de tenségrité physique ne modélisent pas une structure particulière, mais sont plutôt un diagramme de forces et, dans les organismes biologiques, ces forces changent constamment. Les modèles que nous construisons sont donc des reflets de forces à un instant donné, des zones focalisées de tension ou de compression matérialisées dans les cordes de tension et les tiges de compression du modèle.
Pour bien comprendre la biotenségrité, il faut la déconstruire et la réassembler dans son assemblage mésomorphe. À chaque niveau de l’échelle, ce ne sont pas les composants individuels de la tenségrité qui déterminent ses capacités fonctionnelles mais l’auto-organisation synergique de ces parties en une unité opérationnelle, et cela ne peut pas être prédit en examinant simplement les échelles plus petites. Au cours de l’évolution de l’algorithme de biotenségrité, la physique de la matière dure des structures « solides » s’est soumise à la physique de la matière molle et à ses transformations de type cristal liquide. La physique newtonienne a, de ce fait, perdu son emprise limitante sur la biologie. On comprend maintenant que le fonctionnement interne des organismes s’apparente davantage aux montres molles de Dali, plus éphémère et défiant souvent la mesure. Les créatures biologiques ne sont pas l’œuvre d’une conception définie ; elles sont des assemblages intrinsèquement évolutifs de matière organique régis par un algorithme sus-jacent. Notre forme et notre physiologie sont transmuables et contrôlées par la physique de la matière molle. La biotenségrité s’est étendue au-delà de la mécanique du système locomoteur pour inclure les arrangements physiologiques se produisant à chaque niveau de l’échelle. La mécanique de l’ADN, le cycle de Krebs producteur d’énergie, le fonctionnement interne d’une cellule, chaque organe et système d’organes, et l’intégration de l’organisme dans sa totalité, se conforment tous à l’algorithme de biotenségrité.
Toutes les théories commencent par des suppositions éclairées ; il faut du temps pour les tester et déterminer les anomalies. Nous avons commencé avec la « supposition éclairée » que l’icosaèdre de tenségrité est un modèle fonctionnel de physiologie biologique. Il a résisté pendant plus de 40 ans à tous les efforts pour le falsifier. Il a l’application la plus étendue et il est le seul modèle disponible s’accommodant à toutes les plantes et créatures et à leurs composants.
Dans ce monde complexe, personne ne possède toutes les compétences nécessaires lui permettant d’évaluer correctement à lui seul la valeur d’une théorie. Pour permettre à l’idée de mûrir et de se développer, je me suis appuyé sur d’autres personnes pour aider à aplanir les zones difficiles et j’ai adopté leurs éclairages personnels. Personne n’a fait autant que Graham Scarr pour aider à approfondir les racines de la biotenségrité et à la concrétiser.
Dans cette deuxième édition de Biotenségrité, la base structurelle de la vie, Graham a distillé des quantités d’informations sous-tendant la prémisse originale et a raffiné le produit grossier d’un alambic en une liqueur beaucoup plus subtile. Il mélange habilement nos efforts individuels et combinés en un breuvage grisant. Ce faisant, il nous guide tout au long du processus et nous permet de goûter aux différentes itérations qui ont abouti au présent produit. Il ne fait pas de doute qu’un vieillissement supplémentaire apportera encore plus de précisions, mais pourquoi attendre lorsque ce qui a déjà été produit est si agréable au goût ? Si ce livre peut vous inciter, en tant que lecteur, à poursuivre vos explorations dans la biotenségrité, vous pourrez peut-être aussi participer au processus de distillation – dégustez.
Stephen M. Levin MD, FACS Ezekiel Biomechanics Group Washington, USA septembre 2018

{tab=Table des matières}

Table des matières

Préface
Avant-propos de Stephen M. Levin
Remerciements

Chapitre 1 • Tenségrité
Introduction
      De quoi s’agit-il ?
Les origines de la tenségrité
      L’exposition
      Karl loganson
      Les architectes
      David Emmerich
      Buckminster Fuller
      Le sculpteur
      Kenneth Snelson
Le commencement d’une idée
      Construire la tradition
      Une nouvelle conception
      Le dôme géodésique
      La sphère fonctionnelle
      La roue de bicyclette      
      Un effort combiné

Chapitre 2 • Géométrie simple pour organismes complexes
Une « nouvelle » approche de la géométrie : celle que la nature « connaît » déjà
      Les lois de la physique
      Trianguler un hexagone
      Compactage des formes
Les solides de Platon
      Un système structurel dynamique
      Le tétraèdre
      L’octaèdre
      Le cube
      La matrice vectorielle isotropique et l’équilibre vectoriel
      L’icosaèdre
      Le dodécaèdre
La géométrie de la structure vivante
      Le jitterbug

Chapitre 3 • L’équilibre des forces invisibles
Le modèle de tenségrité
      Prismes-T
      Hélices-T
      Sphère T6 et icosaèdre de tenségrité
Simple complexité de la tenségrité
      Structure et énergie
Hiérarchies structurelles
      Un modèle pour tous les autres

Chapitre 4 • Problème de mécanique
Les lois de mécanique classique
      Contrainte et déformation
      Augmenter en taille
      Les conséquences
      Lueur d’espoir
      Des éléments importants manquent
      Une géométrie différente
Biomécanique
      Levier cassé
      Changer de paradigme
Bio-tenségrité
      La chaîne cinématique
      Cinématique à chaîne fermée
      Cinématique de tenségrité
      Problème résolu !

Chapitre 5 • La cellule considérée isolément
Le cytosquelette
      Réguler la cellule
      Façonner l’équilibre
      Lier le « dedans » au « dehors »
      Le développement des tissus
      Le mouvement des cellules
      Développement de schémas complexes
L’intégrateur cellulaire

Chapitre 6 • La torsion dans l’histoire
L’hélice
      L’hélice moléculaire
Hiérarchies complexes
      Spectrine
      Le collagène
Le tube hélicoïdal
Des tubes dans des tubes, dans des tubes
      Le tube myofascial
      La paroi du corps
      Une géométrie plus fondamentale
Secouer le pot

Chapitre 7 • La fluidité du mouvement
Remplacer l’ancien par le nouveau
      Les dinosaures et le pont du Forth*
      La tour de Snelson
      La colonne des vertébrés
L’articulation en tenségrité
      La roue
      Sésamoïdes flottants      
      Un peu d’espace
      Le genou
      Surfaces de glissement
      Note de précaution
Un peu plus de détails
      Le coude
      Quelque chose d’assez particulier se produit
      La bonne fonction
Un petit résumé

Chapitre 8 • Le dur et le mou
La voûte crânienne
      Le modèle géométrique
      Du droit au courbe
      Bases anatomiques
      Développement embryologique
      Le crâne intégré
      Pathologies crâniennes
Le poumon aviaire
      Anatomie hiérarchique
      Le modèle de la roue de tenségrité      
Où en sommes-nous de l’histoire

Chapitre 9 • Un examen plus minutieux
Tension et compression
      Attraction et répulsion
      Tirer et pousser
      D’infinies possibilités
Câbles et tiges
      La tige perdue
      Le simple évolue vers le complexe
      À la recherche de la compression manquante
      Question de point de vue
Droit ou courbe
      Réduire la contrainte
      Géométrie sphérique
Les nuances de l’anatomie

Chapitre 10 • Modélisations « complexes » en biologie
Le dodécaèdre rhombique
La suite de Fibonacci et le Nombre d’Or
      Équivalence
Quasi-équivalence et virus sphériques
Pavage de Penrose
      Objets fractals
      Liens de connexion
Quasi-cristaux
Plus grandes dimensions
Géométrie hyperbolique
Que signifie tout cela ?

Chapitre 11 • Biotenségrité : une approche rationnelle de la biomécanique
Le squelette
      Os
      Muscles
      Tissus conjonctifs
      Le fascia
      Le système micro-vacuolaire
Une nouvelle réalité
      Mésocinésie
      Se défaire des vieilles idées
      Sagesse mal placée
      Une synergie globale
      La simple complexité du mouvement
La dynamique du mouvement
      Le contrôle du mouvement
      Cinématique fonctionnelle
Thérapeutique
      Changement de perception
      Le modèle de biotenségrité
      Une note d’avertissement
      Science de base

Chapitre 12 • Biotenségrité, base structurale de la vie
Premiers principes
      Les solides de Platon et où ils conduisent
      L’hélice
      L’icosaèdre
      Évolution et développement
      L’apparition de la structure
      La survie du plus adapté
Le modèle de biotenségrité
      La roue
      Géométries multiples
      Le modèle « complexe » et au-delà
L’humain fonctionnel
      L’invisible centre
La biotenségrité, base fonctionnelle de la vie

Annexe
Fabriquer des modèles de tenségrité

Origine des schémas et autorisations
Glossaire
Références