Il a passé la plus grande partie de sa vie à des recherches dans les bibliothèques publiques de New York et du British Museum sur d’innombrables événements étranges, ou hors nature, comme il se plaît à les nommer. Il a eu pour principe de prendre de tels événements pour argent comptant, même s’il devait pour cela faire fi de la méthode scientifique orthodoxe.
En fait, Fort fustige justement la méthode scientifique orthodoxe et manifeste un grand scepticisme devant les interprétations des savants : selon lui, en effet, ceux-ci ignorent parfois délibérément les évidences et en arrivent à rejeter tout bonnement ce qu’ils ne peuvent analyser. Ce parti pris du monde scientifique l’amène à appeler les phénomènes inexpliqués le royaume des damnés. Ainsi écrira-t-il Le livre des damnés. Par damnés, il entend tous les événements, phénomènes et données que la Science a jugé bon d’exclure parce qu’elle ne parvenait pas à en donner une explication satisfaisante, selon ses propres critères.
Voilà d’ailleurs comment commence Le livre des damnés (1919) :
« Une procession de damnés.
Par les damnés j’entends bien les exclus.
Nous tiendrons une procession de toutes les données que la Science a jugé bon d’exclure. »
Ce qui m’a particulièrement intéressé dans le texte que je vous propose aujourd’hui, c’est la manière dont il analyse l’erreur de la démarche scientifique, uniquement intéressée par le pondérable et excluant tout ce qui ne rentre pas dans le cadre conceptuel qu’elle s’est fixé. Notamment, une science incapable de retenir et d’analyser les phénomènes à la frontière de ce qu’elle considère comme le réel (comme si le seul réel était celui qu’elle a décidé de reconnaître comme tel...).
Je vous propose donc ici, une partie du premier chapitre de ce livre qui croise bien souvent les constatations et modèles de notre approche ostéopathique.
Là où l’auteur met la table...
Si toutefois une table est bien une table
Un défilé de damnés.
Par damnés, j’entends les exclus.
Contemplons ensemble un cortège composé de faits exclus de la Cité scientifique.
[…] À mon avis, le rouge n’est pas vraiment différent du jaune ; il n’est qu’un degré d’une radiation tout comme le jaune. Le rouge et le jaune sont par ailleurs contigus, puisqu’ils se fondent dans l’orangé.
De sorte que si, à partir de ce critère de couleur, la science devait tenter de classer les phénomènes en admettant les créatures rouges comme véritables et en excluant les jaunes sous prétexte qu’elles sont fausses ou illusoires, la démarcation serait aussi erronée qu’arbitraire ; en effet, les créatures orangées, résultat de la contiguïté, seraient aussi vraies que fausses.
Continuons, car la surprise arrive.
Je pense qu’il n’existe aucun critère de classification, c’est-à-dire d’inclusion ou d’exclusion, plus pertinent que celui du rouge et du jaune.
En fonction de certains critères, la science a admis quantité de faits. Si elle n’avait pas établi ces standards, nous n’aurions pas de points de référence. La science a donc, sur la base de certaines qualités, exclu une foule de faits. Alors si le rouge est contigu au jaune, si les critères d’inclusion sont contigus aux critères d’exclusion, la science a dû rejeter des créatures proches de l’admissible. Le rouge et le jaune, qui se fondent dans l’orangé, nous permettent de caractériser les expériences, les normes, les moyens de nous former une opinion...
Autrement dit, une conviction est l’illusion folle qu’il existe des différences nettes, des termes de comparaison.
L’acte de l’intellect repose sur cette quête d’un fait, d’un critère, d’une généralité, d’une loi, d’une formule, d’une prémisse nette. Pourtant, tout ce que nous avons réussi à admettre, c’est que certaines créatures sont évidentes. Ce que nous concluons en fait, c’est qu’elles constituent l’assise d’autre chose.
Voilà la quête, et la recherche est loin d’avoir abouti. Pourtant la science a agi, statué, tranché et condamné, à croire que nous sommes parvenus à comprendre.
Qu’est-ce qu’une maison ?
À défaut de différences positives entre les créatures, il est impossible de véritablement définir quoi que ce soit.
Une grange est une maison, à condition qu’elle soit habitée. Si l’occupation plutôt que l’architecture donne à la maison son statut, alors un nid d’oiseau est une maison. La présence humaine n’est pas davantage le grand critère puisque nous construisons des maisons pour chien ; pas plus que le matériau, puisqu’un igloo est une maison esquimaude. Un coquillage est la maison du bernard-l’ermite, et l’a été pour le mollusque qui l’a fabriquée. Autrement dit, deux choses aussi distinctes que la Maison Blanche et un coquillage sont contiguës.
Personne n’a encore réussi à dire ce qu’est l’électricité, par exemple. Ce n’est rien de vraiment distinct de la chaleur ou du magnétisme ou de la vie. Métaphysiciens, théologiens et biologistes ont tenté de définir la vie. Ils ont échoué, car sur le plan de la différence positive, il n’y a rien à définir ; aucun phénomène vivant n’est entièrement étranger à la constitution chimique, au magnétisme ou aux phénomènes astronomiques.
Des îles de corail blanc dans une mer indigo.
Leur distinction, leur individualité, leur différence ne sont qu’apparence puisque ces îles sont des projections d’un même fond marin. La différence entre terre et océan n’est pas positive. Dans l’eau se trouve de la terre ; et dans la terre de l’eau.
Or donc, les créatures visibles ne sont pas des choses à proprement parler, mais plutôt la continuité les unes des autres, comme un pied de table n’est pas autonome, mais plutôt la projection d’un autre objet. Aucun de nous n’est une personne réelle, car physiquement nous sommes en contiguïté avec notre environnement, et psychiquement, nous sommes l’expression de notre rapport avec l’environnement.
Je considère les choses sous deux aspects :
Dans une perception moniste d’un monde issu d’une entité unique, je pense que toute créature d’apparente individualité reste un fragment, une île sans contours propres, une projection d’un continent plus vaste.
En même temps, je crois que toute créature, bien que partielle projection, tente de s’affranchir de ses relations avec cet ensemble.
J’imagine un réseau aux enchevêtrements infinis, dans lequel et par lequel toute créature apparente est une manifestation particulière, la localisation d’une tentative commune de rompre les liens et de devenir entité, de posséder une différence nette et une démarcation définitive, une indépendance – ce que l’on appellerait une personnalité ou une âme chez l’humain.
Je suis d’avis que tout ce qui tente d’établir son individualité, sa différence en tant que système, gouvernement, organisation, autonomie ou âme, ne peut y parvenir qu’en s’enfermant dans des bornes, en finissant par damner ou exclure, bref en coupant les liens avec les autres créatures.
Sans quoi, une créature ne peut se manifester.
Le processus est cependant arbitraire et ridicule, voire dangereux.
Imaginons quelqu’un traçant un cercle dans la mer pour y inclure certaines vagues, décrétant que toutes les autres, pourtant contiguës, sont vraiment différentes, allant jusqu’à parier sa vie sur la notion de cette différence positive.
Je pense que notre existence est une animation à l’échelle locale d’un idéal réalisable à la seule échelle universelle.
Que le principe d’exclure est erroné puisque le banni et l’admis sont contigus ; que si la sensation d’une existence perceptible est le résultat de l’exclusion, rien de perceptible n’est réel, car seul l’universel est vrai.
Dans cette quête de l’idéal ou de l’objectif, les manifestations de la science moderne me captivent en particulier. La science a exclu à tort, car il n’existe aucun critère positif qui puisse servir de repère. Et malgré ses propres pseudo-critères, elle a exclu des créatures aussi légitimes que les manifestations admises.
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Je pense que l’état communément appelé existence est un flux, un courant, une tentative entre le Rien et le Tout, qui se situe encore dans l’Intermédiaire.
Par Tout, je désigne ceci : équilibre, ordre, régularité, stabilité, cohérence, unité, vraisemblance, système, gouvernement, organisation, liberté, indépendance, âme, autonomie, personnalité, entité, individualité, vérité, beauté, justice, perfection, précision.
Je pense que ce que nous appelons développement, progrès ou évolution est un élan vers cet état pour lequel il existe un vocabulaire varié, mais que je baptiserai « Absolu positif ».
D’emblée, on peut rejeter cette réduction, parce que ces mots ne semblent pas synonymes ; harmonie peut signifier ordre, mais indépendance, par exemple, s’éloigne de vérité, de même que stabilité ne signifie ni beauté, ni système, ni justice.
J’imagine un réseau aux enchevêtrements infinis, manifeste dans les phénomènes astronomiques, chimiques, biologiques, psychiques, sociologiques ; partout il tente d’exprimer l’absolu positif à l’échelle locale. Nous désignons ces tentatives diverses par des mots différents, bien qu’elles soient seulement quasi différentes. Nous parlons de système planétaire, mais non de gouvernement planétaire. Pour un magasin et son administration, les mots peuvent s’interchanger. Il était d’usage de parler d’équilibre chimique, mais non d’équilibre social ; les fausses distinctions se brisent. Tous ces mots décrivent un même état. Pour parler des concepts du quotidien ou des illusions du sens commun, ils ne peuvent pas servir de synonymes, bien évidemment. Un ver de terre n’est pas un animal aux yeux d’un enfant ; il l’est cependant pour le biologiste.
Par beauté, j’entends ce qui semble achevé. L’incomplet ou le mutilé est laid.
Pensez à la Vénus de Milo; un enfant la trouverait laide. Mais un esprit qui s’affranchit des critères physiques habituels peut l’imaginer complète et belle. Une main possède aussi sa beauté. En revanche, une main abandonnée sur un champ de bataille n’a rien de beau.
Tout ce qui nous entoure est parcelle d’une créature relevant de plus vaste, et de plus vaste encore. De sorte que je ne vois pas de beauté dans le fragmentaire. Ce sont des apparences situées entre la beauté et la laideur, et seul l’universel est achevé. La beauté, c’est donc l’achevé. Une parcelle ne peut refléter la beauté du tout.
Par stabilité, j’entends l’immuable et l’inaltérable. Ce n’est certes pas l’attribut des créatures apparentes qui ne sont que des réponses à d’autres créatures. La stabilité appartient à l’universel et englobe tout. Même si certaines créatures semblent posséder un degré de stabilité enviable, elles se situent quelque part dans la gradation entre stabilité et instabilité. C’est dire que chaque être humain en quête de stabilité, qu’il s’agisse de permanence au travail, de survie ou de longévité, tente de fixer à l’échelle locale un état d’absolu réservé à l’universel.
Par indépendance, entité et individualité, je pense à une créature n’admettant aucune présence externe. S’il ne devait subsister que deux créatures à se partager un seul univers, l’indépendance, l’entité et l’individualité de l’une et de l’autre seraient compromises.
Les tentatives d’organisation, de système et de cohérence, certaines mieux réussies que d’autres, sont toutes intermédiaires entre ordre et chaos. Elles sont d’ailleurs vouées à l’échec à cause de leurs rapports avec des forces extérieures. Toutes visent la complétude. Tant que des facteurs externes influencent les phénomènes locaux, ces tentatives avorteront ; l’achèvement est incompatible avec l’idée d’influences extérieures.
Donc tous ces termes sont synonymes, chacun tendant à décrire l’état que j’appelle l’absolu positif. Notre existence entière vise à atteindre cet état.
Voilà donc le paradoxe ultime : chercher l’universalité en excluant son milieu. C’est le processus commun à toutes les manifestations de toutes les sphères d’un grand réseau finalement inextricable.
Les religieux possèdent un idéal de l’âme ; c’est le siège d’une entité stable et distincte, une espèce de sanctuaire. Tout le contraire d’un flot d’ondes en contiguïté et en réaction avec l’environnement, un lieu de fusion avec une infinité de consciences interdépendantes.
Pourtant la seule créature qui ne fusionnerait pas avec une autre serait celle qui englobe tout.
La vérité est aussi l’apanage de l’absolu positif, sa quête est celle de l’absolu.
Des scientifiques se sont crus occupés à chercher la vérité, mais n’ont poursuivi que des vérités astronomiques, chimiques ou biologiques. L’ultime vérité est celle qui englobe tout ; rien ne pourrait la modifier, la remettre en question ou lui faire admettre des exceptions. Elle représente le tout et l’achevé.
Par vérité, j’entends donc l’universel.
Des chimistes ont cherché la vérité et le réel ; ils ont échoué, car les phénomènes chimiques subissent l’influence du milieu. Toutes les lois chimiques sont truffées d’exceptions. Car la chimie est en contiguïté avec l’astronomie, la physique et la biologie. Par exemple, si le Soleil devait prendre ses distances de la Terre et que la vie humaine parvenait à subsister, nos formules chimiques si familières ne tiendraient plus la route. Il nous faudrait réécrire la chimie.
Toute tentative de découvrir la vérité dans le particulier revient à chercher l’universel à l’échelle locale.
Les artistes cherchent l’harmonie. Les pigments de couleur s’oxydent pourtant, réagissent aux influences de l’environnement, tout comme les cordes d’un instrument de musique résonnent au gré des milieux chimique, thermique et gravitationnel. Encore une fois, ce dénominateur commun des idéaux, c’est la poursuite, localement, de l’objectif réalisable uniquement à l’échelle universelle. Je suis d’avis que seul règne l’intermédiaire entre l’harmonie et le désordre. L’harmonie englobe toutes les forces.
Des peuples ont combattu avec un mot d’ordre : celui de l’individualité, de l’entité ou de la définition, l’espoir d’un peuple autonome ni subordonné ni tributaire d’un autre. Jamais n’a-t-on atteint autre chose que l’intermédiaire, l’histoire des traités en faisant foi. De tout temps, des envahisseurs et des intérêts conflictuels ont désiré l’omnipotence.
Quant aux phénomènes de nature physique, chimique, minéralogique ou astronomique, il peut sembler inusité de les personnifier et de leur prêter une quête analogue de vérité ou d’entité, mais je pense que tout objet cherche l’équilibre ; que tout élan vise à l’équilibre, tend vers une plus grande réussite de l’équilibre.
Tout phénomène biologique sert l’adaptation
il n’y a pas d’activité biologique autre que celle de l’adaptation.
L’adaptation est un autre vocable pour décrire l’équilibre. L’équilibre est universel, et aucun facteur extérieur ne peut le perturber.
Je précise que le mot « exister » signifie pour moi un mouvement. Un mouvement n’est pas l’expression de l’équilibre, mais de l’équilibration, d’un équilibre à atteindre. Les métabolismes du vivant témoignent d’ailleurs des transformations requises pour une stabilisation, tout comme les pensées sont dictées par la nécessité. Exister dans notre quasi-état n’équivaut pas à occuper un statut positif, mais à manœuvrer dans un intermédiaire, entre équilibre et déséquilibre.
Alors... disons que tout phénomène dans notre état intermédiaire, ou quasi-état, constitue une tentative d’organiser, de stabiliser, d’harmoniser, d’individualiser, bref de pénétrer l’absolu positif et le réel.
L’apparence d’être représente un échec, ou plutôt un intermédiaire entre l’échec ou le succès complet.
Chaque tentative observable est déjouée par la contiguïté, par les forces externes, ou par les exclus qui sont contigus aux élus.
Notre existence entière est une tentative du particulier de toucher à l’absolu, du local de devenir universel.
En rassemblant mes notes, mon attention se sera portée sur cette tentative manifestée aussi par la science moderne : elle a tenté d’être réelle, vraie, définitive, complète et absolue.
Compte tenu de notre quasi-état, si l’apparence d’être est le résultat d’une exclusion toujours fausse et arbitraire – puisque l’inclus et l’exclu sont contigus – l’illusion de système ou d’entité construite par la science moderne est bien cela : un quasi-système, une quasi- entité, corrompus par le même processus erroné et arbitraire qui a permis au système précédent, le système théologique encore moins réussi, de fabriquer son illusion de vérité.
Logique de réflexion
[…] Quant à la logique de mes réflexions, elle va ainsi : Ici-bas, le raisonnement est gouverné par une quasi-logique. Rien n’a jamais été prouvé, car il n’y a rien à prouver.
Ce postulat aura du sens pour ceux qui acceptent la contiguïté, c’est-à-dire la fusion des phénomènes les uns dans les autres, sans véritable démarcation. Il n’y a, en réalité, aucune créature absolue. Il n’y a donc rien dont on puisse faire la preuve.
Impossible de faire la preuve, par exemple, que telle créature est spécifiquement un animal puisque l’état animal n’est pas positivement différent de l’état végétal. Certaines manifestations de la vie appartiennent à un règne autant qu’à l’autre. Il n’existe donc aucune expérience concluante, ni norme, ni critère, ni moyen de se former une opinion. Un animal totalement distinct de l’état végétal, ça n’existe pas. Rien dont on puisse faire la preuve. Pas davantage de moyen de démontrer que le bien existe, d’ailleurs. Rien dans notre existence n’est positivement bien ni purement distinct du mal. Si le pardon est bien en temps de paix, il est malvenu en temps de guerre. Il n’y a rien dont on puisse faire la preuve. Le bien, à mon avis, est contigu au mal, en est un autre aspect.
Mon objectif est donc de considérer, tout simplement. Si je ne peux voir à l’échelle universelle, mon regard reste partiel.
Bref, jamais n’a-t-on fait la preuve de la moindre chose. Les énoncés théologiques sont tout aussi hypothétiques aujourd’hui que jadis ; c’est d’ailleurs grâce à son pouvoir hypnotique que la théologie a dominé les esprits de son temps.
Les lois, les dogmes, les formules et les principes de la science matérialiste qui lui a emboîté le pas n’ont jamais été prouvés non plus, car ses observations, même si elles prétendent établir le modèle du Tout, restent locales. Néanmoins, les leaders de cette impérieuse époque ont été charmés ; ils y ont cru à divers degrés.
Les trois lois de Newton, tentatives de décrire le réel et de défier le principe de contiguïté, sont aussi vaines que l’espoir de trouver l’universel dans le particulier.
Car si chaque corps observable est contigu aux autres corps, de près ou de loin, il ne peut être uniquement sensible à la force d’inertie ; il est donc impossible d’établir la véritable nature de son influence. Si toutes les créatures réagissent à une infinité de forces, il est futile de chercher à définir l’action isolée de l’une d’entre elles; et si toute réaction est contiguë à sa propre action, la notion des forces équivalente et opposée repose sur du sable.
Bref, les lois newtoniennes forment trois croyances. Selon moi, les démons, les anges, les inerties et les réactions sont des créatures mythologiques.
Avouons simplement qu’en leur époque de gloire, on y croyait dur comme fer.
Remplaçons croyance par ouverture
Les cellules d’un embryon se métamorphosent par étapes. Je pense que l’organisme social est un embryon. Plus une idée est ancrée, plus elle se fige.
C’est dire que les croyances nous immobilisent. S’ouvrir, ne serait-ce qu’un instant, faciliterait le progrès.
Cependant, bien que j’aie choisi de remplacer la croyance par l’ouverture, mes méthodes restent classiques en ce sens qu’elles ressemblent à celles qui ont servi à construire les croyances ; ce sont les moyens des théologiens, des indigènes, des scientifiques et des enfants. Car si les phénomènes sont tous contigus, il n’existe aucune méthode vraiment différente. C’est donc avec les moyens peu concluants des évêques, des diseurs de bonne aventure, des évolutionnistes et des paysans – peu concluants puisqu’ils ne font que décrire le local – que j’aurai écrit ce livre.
C’est aussi l’expression et la marque d’une époque.
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Toute science vise à définir. Rien n’est encore clairement défini, car il n’y a rien à définir.
Darwin a écrit L’Origine des espèces par le biais de la sélection naturelle. Il n’a jamais réussi à dire ce qu’il entendait par « espèce ».
Impossible définition. Rien n’a encore été tranché à ce sujet, et pour cause. Chercheriez-vous une aiguille inexistante dans une botte de foin imaginaire ?
Par ses incursions dans l’indéfinissable, la science cherche surtout à devenir réelle.
Celui qui cherche la vérité ne risque pas de la trouver. Mais il reste néanmoins l’infime possibilité qu’il devienne lui-même la vérité.
Sous le couvert de l’enquête, la science est une pseudoconstruction, une quasi-organisation ; elle aspire à trouver à l’échelle du particulier l’indépendance, l’harmonie, la stabilité, l’équilibre, la cohérence, l’entité.
Infime possibilité qu’elle y parvienne.
Une pseudo-existence
Notre présence est une pseudoexistence, et toutes ses manifestations contribuent à l’illusion. Mais avouons que certaines manifestations s’approchent davantage de l’absolu positif que d’autres.
Je suis d’avis que les créatures se situent quelque part dans une gradation entre le Rien et le Tout, entre l’absolu négatif et l’absolu positif ; que certaines créatures semblent plus réussies que d’autres sur le plan de la cohérence, de la justice, de la beauté, de l’unité, de l’individualité, de l’harmonie et de la stabilité.
Je ne suis ni un réaliste ni un idéaliste. Je suis un intermédiariste. Je crois que rien n’est réel ni irréel non plus. Tous les phénomènes s’approchent à divers degrés des murs du Rien et du Tout.
De sorte que notre quasi-existence est un état intermédiaire entre le positif et le négatif, le réel et le néant.
Un purgatoire, en quelque sorte.
Dans cette vision réduite et sommairement brossée, j’ai omis de clarifier cette notion : le réel est un visage de l’absolu positif.
Par réel, j’entends ce qui ne fusionne pas avec autre chose, ce qui n’est pas fraction d’autre chose, une réaction ou une imitation. Par vrai héros, j’écarte celui qui serait à demi lâche, chez qui les actes et les motifs rejoindraient la couardise. Alors que dans la contiguïté toutes les créatures fusionnent, le réel est selon moi l’universel, ce qui englobe tout.
Bien que le particulier puisse se reconnaître dans l’universel, il est inconcevable de trouver l’universel à l’échelle locale. Certes, des créatures s’en approchent, et ces approximations fructueuses pourraient expliquer leur voyage de l’intermédiarité vers le réel, un peu comme - à titre de comparaison – le secteur industriel travaille à sortir du néant des inventions en apparence plus réelles lorsque fabriquées.
Le progrès, à supposer qu’il tend vers la stabilité, l’organisation, l’harmonie, la cohérence et la positivité, constitue selon moi une tentative de se réaliser.
En termes métaphysiques généraux, je pense que ce qui est communément appelé « existence » et que j’appelle plutôt intermédiarité est une quasi-existence ni réelle ni irréelle, un désir de pénétrer l’existence réelle, de la fabriquer ou de s’y intégrer.
Une propension commune de figer le particulier anime le monde de l’intermédiarité. La science n’y échappe pas lorsqu’elle scrute des ossements, des insectes et des bouillies de catastrophes. Si la science pouvait carrément exclure les données dissidentes pour ne conserver que l’admissible en vertu de sa quasi- organisation actuelle, elle constituerait un système aux limites nettement définies. Elle deviendrait réelle.
Son apparence de cohérence, de stabilité, de système – illusion de réel ou de positif – tient à ce qu’elle a condamné l’irréconciliable et l’inadmissible.
Tout aurait été pour le mieux.
Tout aurait été béni.
Si seulement les damnés étaient restés muets.
Charles Hoy Fort (1874-1932)
Le livre des damnés
2006 Joey Cornu Editeur
Rosemère (Québec)
ISBN: 978-2-922976-09-0