l'ostéopathie, à boire et à leur donner ce fluide qu'ils savourèrent comme toutes les personnes intelligentes ayant bu à ce fleuve, le même courant coule pour vous. » (Still, 1998, 339).
Par ces mots, Still nous fait héritiers : ils nous propose de nous relier à la même source que lui et de poursuivre. Ce faisant, il nous fait héritiers dans l'être bien plus que dans l'avoir.
Cette distinction me semble essentielle. Hériter dans l'avoir est certes source de richesse matérielle, mais cette richesse est limitée.
Hériter dans l'être est source de richesse infinie : « Si nous avons chacun un objet et que nous les échangeons, nous avons chacun un objet. Si nous avons chacun une idée et que nous les échangeons, nous avons chacun deux idées. » (Proverbe chinois in Favre, 1994, 271).
Au niveau de l’avoir, Still nous a laissé très peu de choses. Il évoque sans cesse dans quel esprit doit observer et travailler l’ostéopathe, mais il ne fournit quasiment aucune technique. Il semble que cela ait été de sa part délibéré : « Je désire exprimer clairement qu’il existe de nombreux moyens pour ajuster les os. Et lorsqu’un praticien n’utilise pas la même méthode qu’un autre, cela ne démontre aucunement de l'ignorance criminelle de la part de l'un ou de l'autre, mais simplement deux moyens différents pour obtenir le même résultat... Chaque praticien devrait utiliser son jugement personnel et choisir sa propre méthode pour ajuster tous les os du corps. Le problème n’est pas d’imiter ce que font avec succès quelques praticiens, mais de ramener un os de l’anormal au normal. » (Still, 2001, 44).
Il a, en revanche, beaucoup insisté sur l’être, développant largement les aspects philosophiques et spirituels de l’approche ostéopathique. C’est à ce niveau que je me sens héritier de Still. Je me sens connecté à la même source : celle de l'être, de la conscience.
De la conscience
Dans le numéro 4 de la revue belge Thinking, Jacques Andréva Duval dit quelques mots de Rollin Becker et de l’expérience vécue avec lui. Il propose quelques citations dont celle-ci : « Toutes les cellules ont deux choses en commun : 1/ une philosophie, 2/ un but. En tant que philosophie, elles sont universelles : elles obéissent aux mêmes lois ; en tant que but, elles ont simplement une action spécifique (cellules du foie, du système nerveux, etc.). Et nous, en tant qu’ostéopathes, nous acceptons leur action spécifique, mais nous travaillons avec leur universalité. » (Duval, 1998, 5).Pour l’ostéopathe, amoureux viscéral de la globalité, cette proposition est particulièrement intéressante : travailler avec l’universalité cellulaire nous place à un point de causalité, rêve secret de plus d’un praticien. Malheureusement, Becker ne nous précise ni à quoi correspond l’universalité cellulaire, ni ce qu’est la philosophie d’une cellule.
Philosophie cellulaire
Est-il possible que des cellules aient une philosophie ? Si oui, de quoi peut-il s’agir ? Quel modèle imaginer pour cela ? Une des possibles définitions du mot « philosophie », pourrait nous convenir : « Conception de quelque chose fondée sur un ensemble de principes ; ces principes » (Larousse). « Conception générale, vision plus ou moins méthodique du monde et des problèmes de la vie. » (Le Robert). Ramenée à la cellule, la définition se trouve particulièrement réduite. Quels principes fondamentaux, quelles motivations essentielles animent la cellule ? J’ai retenu vivre ou survivre, comme sens le plus simple et le plus évident de continuer d’exister. Le concept être s’est alors imposé, concept qui met à l’épreuve plus d’un neurone humain depuis fort longtemps et à partir duquel je me suis attaché à concevoir un modèle utilisable. C’est ce modèle que je désire présenter.
La cellule, une conscience
Avec le concept être, nous sommes probablement remontés au plus haut des échelons de la causalité. Mais que veut dire être ? Le dictionnaire nous dit beaucoup de choses, mais rien sur l’essence, le mécanisme, l’acte être. Être, exister, découle d’une décision : Je suis. Je suis, me définit comme moi centre, fulcrum, par rapport à un environnement que je considère comme extérieur à moi, différent de moi, défini ou considéré comme non moi.Être, c’est se séparer, s’individualiser. Il y a différenciation. Cela rejoint une définition donnée par Spencer, grand inspirateur de Still, rappelons-le : « Schelling disait que la vie est la tendance à l’individuation. Cette formule, au premier abord, ne signifie pas grand chose. Mais il n’y a qu’à l’examiner à la lumière des faits de développement ou du contraste qui sépare les formes inférieures et supérieures de la vie, pour en reconnaître la valeur, et surtout l’étendue. » (Spencer, 1877, T. 1, 71). À partir du moment où elle existe, individualisée, la structure vivante se sait exister indépendamment de son environnement et son environnement la connaît comme existante. Il y a conscience. Ce mot est constitué de deux racines latines : co de cum « avec » qui suggère l’association (comme dans coexistence, connaissance, etc.) et scire « savoir ».
Être conscient et en être conscient…
Notre difficulté à imaginer la conscience cellulaire vient du fait que nous associons le concept de conscience à notre capacité à nous regarder être. Nous confondons être conscient et être conscient de notre conscience. Ce concept-là de la conscience est une abstraction que nous projetons inconsciemment dans notre observation du vivant. Comme les espèces dites inférieures ne sont (apparemment…) pas douées de la même capacité d’abstraction, nous disons qu’elles ne sont pas conscientes. Elles n’ont simplement pas la même conscience que nous. Il y a confusion de niveau d’abstraction.
Être conscient, c’est exister, tout simplement ; ou exister, c’est être conscient. Les deux sont indissociables. Et vivre, c’est expérimenter l’être ou la conscience. On peut donc dire que tout être vivant du plus simple au plus complexe est conscient. De plus, il fera tout pour conserver sa conscience, c’est-à-dire son état d’être ou d’existence. Des mécanismes aussi complexes que l’immunité et l’homéostasie trouvent là leur origine.La conscience de soi semble aller croissant au fur et à mesure de l’évolution des organismes : « La ‘perception du moi’, confuse d’abord, puis de plus en plus explicite, apparaît, on peut le supposer, à partir de comportements instinctifs liés à la survie. Mais il est bien difficile d’en dire plus. Les mots, sans doute nous font ici défaut. » (Reeves, 1986, 186).
Être conscient de sa conscience semble l’apanage de nous autres, Homo sapiens, et nous différencie radicalement des systèmes vivants dits inférieurs. D’ailleurs, la possibilité d’être conscient de sa conscience, suggère l’existence d’un Je différent de celui de l’organisme, et qui le contrôle, comme le conducteur contrôle sa voiture ou le cocher son attelage, métaphore souvent proposée dans la philosophie hindoue.
Un être, c’est l’immobilité
Être, c’est être fulcrum, c’est créer un univers dont je est le centre, immobile, fulcrum d’une périphérie en mouvement. Bien étendu, cette immobilité est relative à l’univers dont je suis le centre. Mais telles les poupées russes, existent une infinité d’êtres, centres immobiles de leur univers, inclus dans d’autres univers, et donc mobiles par rapport à un Je fulcrum qui les centre, etc. L’immobilité étant la nature même d’un fulcrum, tous ces fulcrums sont relativement immobiles. Le seul fulcrum absolument immobile serait le Créateur de tout l’univers, le Fulcrum des fulcrums.
Par ailleurs, être, c’est créer des couples, le premier étant moi/non moi. Ainsi, toute création est relative et n’existe que par rapport à son opposé. Ces deux opposés existent l’un par l’autre et sont en constante recherche d’équilibre réciproque. La création du couple logique moi/non-moi crée d’autres couples logiques associés : centre/périphérie, immobilité/mouvement, cause/effet, expansion/rétraction, etc.
De l’immobilité au mouvement
Être, s’est se décréter différent ou séparé, s’individualiser donc, mais comment savoir qu’il en est ainsi, c’est-à-dire savoir que l’on continue d’être, autrement dit expérimenter l’état d’être ? Pour cela, il faut un système permettant d’établir, de maintenir ou de sentir en permanence la différence entre le moi et non moi. À la cellule, la membrane procure une barrière matérielle, mais si cette barrière sépare (encore la conscience…) un espace intérieur d’un espace extérieur, donne une limite physique à l’individu, elle ne lui permet pas pour autant d’expérimenter, de sentir qu’il existe. Elle constitue la structure de l’existence, mais pas encore la fonction.
La sensation d’exister naît de l’échange avec l’extérieur. La dualité moi/non moi crée la dualité influx/efflux. L’efflux, ne pouvant être infini, il doit s’inverser, ce qui donne un influx cherchant à équilibrer la différence de potentiel entre moi et l’extérieur. Mais au moment où le retour de flux va équilibrer cette différence, la nécessité d’exister ou de se sentir exister le recrée vers l’extérieur. Ainsi s’établit une alternance d’efflux et d’influx à la recherche d’un impossible équilibre.
Richard Moss exprime le même phénomène d’une autre manière : « En fait, il est impossible de devenir conscient de quelque chose sans s’en séparer au préalable. Pensez au vent un instant. Si vous vous déplacez à la vitesse du vent, vous ne le sentez pas. Pour en devenir conscients, vous devez lui résister, le repousser. C’est ce qu’est l’ego : le Je qui repousse Tout. Il doit se désolidariser d’une intimité fluide avec l’Existence et c’est ce qui, paradoxalement, nous permet de devenir conscients de l’Existence. L’ego naît du contraste : il exige une séparation ; il a besoin de l’interaction. Il donne naissance à la volonté propre et au premier discernement : oui ou non. Et il peut être menacé. » (Moss, 1996, 38). Ainsi existe dans le vivant une éternelle dualité entre se fondre et résister, entre aller vers et se replier.
Expansion - rétraction
Cet échange permet à la cellule de se sentir exister, comme individu… Pour que la sensation existe, il faut qu’il y ait changement. Que ce changement se fasse vers l’extérieur ou vers l’intérieur importe peu, il faut qu’il soit. L’alternance d’efflux et d’influx manifeste ou crée l’échange et permet à la structure vivante de savoir qu’elle existe, tout en maintenant une certaine conservation de l’énergie. La conscience se maintient par cette alternance : « Conscience et respiration se confondent : elles sont un. » (De Smedt, 2001, 10). Comme tout phénomène alternatif, il a tendance à s’organiser et à se stabiliser selon un rythme. Cet échange crée également un cycle de mouvement alternatif d’expansion/rétraction au sein de la cellule. La cellule peut ainsi être envisagée comme un convertisseur : elle convertit l’échange ou la communication en mouvement. Ainsi, de l’immobilité naît le mouvement.
À ce propos, voilà ce qu’écrit Thomas F. Schooley, proche élève de Sutherland : « Si toute matière est en mouvement et si tout mouvement est fluctuant dans sa phase primaire, la fluctuation étant composée de deux cycles, l’un expansif et l’autre contractile, alors la fluctuation est rythmique. Si une phase est produite par l’autre, alors il doit y avoir un échange de facteur d’énergie entre les deux phases de la fluctuation, puisque le mouvement demande de l’énergie pour se produire. Si la fluctuation survient dans toute matière, il doit y avoir un point central à partir duquel elle prend naissance et ce point alors n’a pas de mouvement et peut être appelé un fulcrum. Ainsi, il doit y avoir un fulcrum pour chaque atome, chaque molécule, chaque masse de matière. » (Schooley, 1951, 72-73 et Magoun, 2000, 102-103).
Organisation
C’est un truisme de dire que le corps est un système organisé. C’est cette constatation qui a conduit Still à le concevoir comme créé par un Grand Architecte : « Chaque trait du Maître Architecte de l’Univers, montre une preuve d’intelligence, et Son œuvre est absolue. » (Still, 1998, 258). Cependant, ce qui nous intéresse ici, ce n’est pas tant le concepteur que la manière dont le système est organisé, l’organisation semblant être un mot clé de l’évolution.
Structure et fonction
Face à la pulsion de survie, fondamentale à tout organisme vivant, on considère généralement la constitution des différents types de tissus et d’organes comme répondant aux nécessités rencontrées par les systèmes vivants au fur et à mesure de leur évolution et de leur complexification. À chaque augmentation du degré de complexité sont apparus des problèmes nouveaux pour lesquels il a fallu trouver des solutions aussi urgentes qu’efficaces. On peut également supposer qu’à chaque étape, de nombreuses solutions ont été expérimentées avant que la bonne n’émerge et prévale. Mais en même temps, chaque solution trouvée à un moment donné de l’évolution a engendré l’apparition de problèmes plus complexes qu’il a fallu résoudre en créant d’autres spécialisations, etc. Ainsi, face à la nécessité de fonctions spécialisées, se sont créées des structures différenciées. La même chose pourrait être formulée à l’envers : ainsi se sont créées des structures différenciées ayant la charge d’assurer des fonctions spécialisées. Cette réversibilité de la formulation fait ressortir qu’avec structure et fonction, nous avons affaire à un couple, l’avers et le revers de la même médaille. On ne peut dans le vivant concevoir et définir l’une sans l’autre.
Tout cela évoque irrésistiblement la célèbre phrase attribuée à Still : « La structure gouverne la fonction ». Remarquons cependant que même si cette phrase laconique résume assez justement un des concepts fondamentaux de l’ostéopathie – la relation de la structure et de la fonction –, on ne la trouve ainsi formulée dans aucun des écrits publiés de Still… Par ailleurs, ainsi énoncé, le concept devient ambigu, notamment à cause du mot gouverne dont le sens s’est considérablement altéré avec le temps. Cette ambiguïté a conduit plus d’un ostéopathe à accorder à la structure plus d’attention que nécessaire. Gouverner, nous dit Larousse, c’est diriger à l’aide d’un gouvernail. Or la fonction d’un gouvernail, c’est d’orienter vers une direction, pas de pousser. Autrement dit, la force, la puissance motrice vient du moteur, un système indépendant du gouvernail.
Chez le vivant, la structure oriente la pulsion vitale, mais la puissance vient de la vie. C’est la vie donc que nous devons comprendre. Pour les besoins de notre modélisation, nous allons ainsi définir structure et fonction :
La structure : dans le monde du vivant, la structure est une organisation matérielle destinée à orienter la pulsion non spécifique de la vie vers des manifestations spécifiques qui sont les fonctions, dans le but de satisfaire les besoins particuliers relatifs à la survie de l’organisme.
La fonction : c’est la pulsion vitale, non spécifique, canalisée et dirigée par une structure pour devenir spécifique, dans le but de résoudre un ou des problèmes particuliers relatifs à la survie de l’organisme.
Un système de consciences organisées
Comme nous avons envisagé la cellule comme une conscience déterminant un espace limité par une membrane et centré sur un fulcrum, nous pouvons envisager le corps comme une organisation d’espaces et de limites, centrés sur des fulcrums. Un espace organisé de consciences ou un espace de consciences organisées… Cette juxtaposition d’espaces limités finit par constituer des volumes et donc des formes, le tout manifestant un mouvement permanent d’expansion/rétraction, manifestation perceptible de la vie – le souffle de vie – que nous appelons impulsion rythmique tissulaire.
Le corps devient alors un ensemble liquidien pulsatile rythmique (expansion/rétraction), organisé par un système de cloisonnement fibreux (membranes, fascias), centré mécaniquement sur le fulcrum de Sutherland.Dans cette considération, la première structure organisatrice est la dure-mère qui, par son inélasticité, transforme le mouvement d’expansion/rétraction tissulaire multidirectionnel en créant des points de restriction de mouvement et des zones de liberté. Ainsi, la dure-mère gouverne le système, organise sa mécanique. C’est elle qui permet l’apparition de mouvements différenciés dans le système crânio-sacro-vertébral de ce que nous connaissons depuis Sutherland comme mouvements de flexion/extension des os impairs et médians et de rotation externe rotation interne des os pairs et périphériques.
Nous savons également que dans le temps d’expansion du système, la flexion/rotation externe des structures situées sur l’axe crânio-sacro-vertébral, induit une descente de tous les tissus périphériques attachés directement à la base du crâne ou au bassin, la remontée étant induite lors de la rétraction induisant l’extension/rotation interne. Mais ces mêmes tissus périphériques, os compris, étant eux-même vivants, possèdent une pulsation rythmique qui leur est propre – une motilité – qu’ils manifestent individuellement au sein de ce mouvement collectif, ce qu’ont bien mis en évidence Barral et Mercier dans leur approche viscérale. Selon l’attention et l’intention que nous utilisons pour contrôler notre perception, nous ressentirons de manière privilégiée l’un ou l’autre de ces mouvements qui sont, rappelons-le, coexistants. Ces différents mouvements sont aujourd’hui bien connus des ostéopathes, qui ont tenté de les codifier. Nous allons les considérer comme intégrés au sein de mouvements plus généraux, témoignages relatifs de phénomènes plus absolus reliés à la vie elle-même et à sa manifestation.
Assez curieusement, ces mouvements ne vont pas nous intéresser particulièrement : lorsque nous les percevons comme normaux et harmonieux, ils nous indiquent que la vie parvient à se manifester sans difficulté. La structure vivante n’a alors pas besoin de notre aide. Ce qui va nous intéresser particulièrement, c’est le non mouvement, qui témoigne d’une difficulté de la vie à se manifester et provoque des altérations dans la mécanique intime ou micro-mécanique primaire de l’ensemble corporel, cause d’altérations dans la macro-mécanique secondaire du système corporel. En ce sens, nous rejoignons tout à fait la pensée stillienne sur les petites choses : « Tout explorer attentivement, ne jamais abandonner tant que la cause n’est pas découverte et utiliser ce que la main de la nature a placé dans ses œuvres, ne jamais négliger les petites choses car elles contiennent souvent de précieux joyaux. » (Still, 1999, 57).
En gros, nous pouvons imaginer le corps comme une méduse. L’image ne séduit pas d’emblée, à cause de ce qu’évoque pour nous la méduse. Elle symbolise pourtant particulièrement bien à mes yeux l’idée de mouvements de fluides au sein de fluide. La seule séparation en fluides intérieurs et fluides extérieurs confère au système identité et organisation mécanique, sans pour autant modifier sa nature profonde : celle de fluide.
Évidemment, c’est l’expérience palpatoire que nous ferons de ce système qui nous permettra d’accéder à la fluidité des structures. Pour l’organisme humain, nous devrions plutôt parler de leur plasticité, étant donné que la matérialité de certaines structures, l’os notamment, les rapproche de l’univers physique.
Survivre
Puisque pour maintenir sa conscience d’exister un organisme vivant doit échanger avec son environnement, il devient logique de l’envisager comme étant par nature un système relationnel, constamment pris dans le dilemme d’échanger avec l’extérieur (conserver la sensation d’exister), tout en préservant son identité (maintenir une séparation). Cette dualité le rend vulnérable et le conduit à des réponses comportementales particulières. Ce qui importe, donc c’est la manière dont le système corporel réagit face aux difficultés qu’il rencontre dans ses relations de vie. « Physiquement, mentalement et émotionnellement, le corps est en échange constant avec son environnement externe. Cet environnement externe va de l’entourage immédiat de l’individu aux étendues les plus lointaines de l’univers. Dans ce cas, pourquoi séparer l’environnement interne et l’environnement externe ? L’expression ‘l’homme et son environnement’ peut être exprimée par un seul terme : la biosphère. » (Wales ed, 1997, 204).
L’approche tissulaire assume qu’avant même la fonction physiologique qu’elle est sensée assumer, la première préoccupation de toute structure vivante est de continuer d’exister, c’est-à-dire survivre. Alors, secondairement, la survie étant assurée, la ou les fonctions dévolues à cette structure tissulaire sont automatiquement assumées. Nous rejoignons ici Becker dans sa dichotomie universalité/spécificité.
S’isoler
Comment, dès lors, procède-t-elle pour préserver sa survie lorsqu’elle se sent menacée ? La solution la plus logique n’est-elle pas de tenter de s’isoler, de diminuer l’échange avec l’environnement désormais considéré comme hostile, bref, de s’individualiser davantage ? Pour s’isoler, un excellent moyen est de rendre la membrane moins perméable. Et comment faire cela, si ce n’est en la resserrant, en augmentant sa tension ? Est-ce à dire en retenant de l’énergie ?
Ainsi pouvons-nous modéliser le comportement d’une structure vivante confrontée à une menace reconnue de son environnement. Elle s’individualise. Avec ce nouveau point de vue, ce n’est plus seulement l’agent agresseur qui nous intéresse, mais le comportement de l’agressé face à l’agression. Nous voilà dans le relatif le plus absolu. Dans toute situation, nous devons évaluer les facteurs objectifs (énergétiques et autres), mais également les facteurs subjectifs (acceptation ou refus) qui modifient la relation, engendrant ou non de la résistance ou du refus de communiquer et donc de la rétention d’énergie.
La rétention
Cette prise de conscience m’a conduit au concept de rétention qui implique de la part de la structure vivante une réponse non consciente, mais active, de retenue d’énergie visant à tenter de s’isoler du danger qui la menace. Il est même bien possible que ce type de réponse – retrait, résistance, refus –, ai commencé d’exister avec la structure vivante et que, par conséquent, nous la retrouvions, intégrée au mécanisme même du vivant dont la première réaction face à l’adversité est le retrait, la résistance, le refus avec tous les effets secondaires qui en découlent : « La conscience matérielle, c’est-à-dire le mental dans la Matière, s’est formé sous la pression des difficultés – des difficultés, des obstacles, des souffrances, des luttes. Elle a été pour ainsi dire ‘élaborée’ par ces choses, et cela lui a donné une empreinte, presque de pessimisme et de défaitisme, qui est certainement le plus grand obstacle. [...] C’est la grande base, l’immense base de la Vie. La vie est appuyée là-dessus : sur ce NON. Un non qui prend mille formes, des millions de formes et de petites maladies ou de petites faiblesses, mais qui vont toutes vers leur soif du non final : la mort. » (Satprem, 1976, 199). Quel étrange paradoxe : des réponses de survie conduisant à la mort, faute de conscience !
Du simple au complexe
Ce modèle comportemental peut s’appliquer aux structures simples, mais également aux structures complexes reproduisant macroscopiquement les comportements des structures microscopiques qui les composent. Dans nos vies, nous reproduisons ce type de comportement, chaque fois que nous sommes confrontés à des situations que nous considérons comme agressives ou dangereuses : « L’expérience clinique a démontré que, par une ironie du sort, ce sont souvent les tentatives mêmes du patient de résoudre le problème qui en fait l’alimentent. C'est donc la solution tentée qui devient le véritable problème. » (Watzlawick, 1993, 86). Watzlawick évoque ici les solutions qui, parce qu’elles ont fonctionné à un moment de la vie d’un système vivant, sont systématiquement réutilisées ultérieurement, sans adaptation aux changements des situations. Seule la conscience de cette inadaptation peut permettre de suspendre le mécanisme, mais l’abstraction nécessaire à cette prise de conscience ne semble pas accessible à une cellule vivante. Elle a besoin d’un point d’appui extérieur. C’est ce que praticien en techniques tissulaires se propose de lui offrir.
En revanche, on peut imaginer que ce mécanisme si fondamental à la vie et à la survie d’une structure vivante a puissamment participé à l’évolution. Les rétentions d’énergie et les densifications entraînées ayant fini par s’organiser, et s’intégrer, modifiant ainsi la structure des organismes vivants et leur permettant d’évoluer, donc survivre.
Mécaniciens de la conscience
Avec le mécanisme respiratoire primaire, William Garner Sutherland, nous décrit une mécanique de la conscience : c’est la conscience qui produit l’alternance d’expansion/rétraction d’une cellule vivante, mouvement primaire que la vie manifeste dans toute structure vivante. À l’image des cellules qui le composent, le corps peut s’envisager comme un assemblage liquidien pulsatile rythmique, structuré par un système de cloisonnement fibreux (membranes, fascias), dont le mouvement est organisé par la dure-mère et centré mécaniquement sur le fulcrum de Sutherland.
La mécanique corporelle subtile est alors la manifestation de la conscience de la structure vivante et du même coup, l’altération de la conscience d’une zone tissulaire modifie sa mécanique, altérant celle de tout le système, selon l’image de la méduse déjà évoquée.Ainsi, je n’envisage plus l’organisme comme une mécanique accessoirement vivante, mais comme un système vivant accessoirement mécanique. Voilà pourquoi au lieu de m’intéresser d’abord à la mécanique, j’en suis venu à m’intéresser d’abord à la vie et aux activités relationnelles du vivant. De mécaniciens des leviers, nous voilà devenus mécaniciens de la conscience…
Conséquences de la rétention
Qui dit énergie bloquée, ou retenue, dit densité, tension et inertie augmentées. De plus, la structure tissulaire conduit moins bien l’énergie à cause de l’augmentation de la densité. Rendue vulnérable aux flux la traversant, sa résistance à communiquer initie un comportement désormais différent, qui se fonde sur la résistance ou le refus comme gage de survie. Résister, refuser, devient une solution fonctionnelle de survie. Cette solution sera donc systématiquement mise en œuvre en premier dès qu’une anomalie ou un danger sont repérés dans l’environnement de la structure vivante. Comme conséquence des rétentions, notons :
Diminution de la conscience (consécutive à la diminution de l’échange).
Augmentation de la vulnérabilité.
Densification, inertie, rétraction (consécutives à la retenue d’énergie).
Conséquences mécaniques.
Création d’un fulcrum non physiologique, altérant la mécanique de tout le système.
Attirance des tissus connectés.
Rigidification progressive du système corporel, vieillissement.
Communiquer
Du point de vue de la conscience, existent deux mondes : le monde du dedans et celui du dehors. On pourrait également parler d’espace intérieur et d’espace extérieur, ou d’univers intérieur et d’univers extérieur, intérieur et extérieur constituant les deux pôles d’un couple gérant l’espace. Pour une conscience, l’espace intérieur est de nature ponctuelle. C’est le centre où se situe Je. L’espace extérieur est de nature infinie et représente le non-je.
Information et mouvement
Notre modèle a postulé que pour entretenir la conscience d’exister, Je doit établir et maintenir un échange entre son intérieur (Je) et son extérieur (non-Je), sous forme d’influx et d’efflux. Cet échange se fait sous forme d’énergie qui peut se définir comme « information en mouvement. » (Brinette, 1992, 23). Utilisée par les bio-énergéticiens, cette définition m’apparaît comme particulièrement pertinente. Elle tient compte en effet des deux aspects – subjectif et objectif – d’un même concept. Elle m’a permis de saisir que retenir de l’énergie, c’est également retenir de l’information et de comprendre ainsi certains phénomènes se produisant parfois lors de libération de zones de rétention, les décharges émotionnelles, par exemple. De l’information, Brinette nous dit qu’elle est « un concept qui se déplace » (Brinette, 1992, 23). L’information n’est pas de nature matérielle, elle est sens.
Le mot Concept vient du latin conceptus, participe passé du verbe concipere, ‘former en son sein, contenir’. « Représentation intellectuelle d’un objet conçu par l’esprit » (Larousse). « Représentation mentale générale et abstraite d’un objet. Idée (générale), notion, représentation ; conception, conceptualisation : abstraction, généralisation. Les concepts sont indépendants des langues. » (Robert). Ce dernier point est capital à connaître et à comprendre : un concept est une représentation de quelque chose, indépendante du langage utilisé pour l’exprimer. Cela nous sera très utile pour communiquer avec la structure vivante, qui répond au concept (à l’information), et non au langage. Du concept, on peut également dire que c’est la représentation qui demeure après une expérience.
Le mot information vient également du latin, informatio « dessin », « esquisse », « idée », « conception ». Parmi les définitions de information, Larousse propose : « Élément de connaissance susceptible d’être codé pour être conservé, traité ou communiqué. » Nous sommes donc là très proche de l’idée de concept. Informer, c’est « transmettre une information » (Larousse), « Donner une structure, une forme, une signification à quelque chose. » (Universalis).
L’espace intérieur, un concentré d’informations
Au cours de l’évolution, en amalgamant la matière pour constituer le vivant et en se complexifiant en tant qu’organisme, la conscience, de ponctuelle, est devenue volume. Elle s’est dotée de limites matérielles, une première limite étant la membrane cellulaire. Dans le corps, chaque structure individualisée possède donc un dedans et un dehors séparés par une membrane. Le corps lui-même possède un dedans et un dehors, séparés par la peau.
Le modèle tissulaire postule que dans l’espace ou monde intérieur d’un système vivant existent toutes les informations le concernant. Pour aider ce système de consciences, il faut pouvoir accéder à ces informations, puis trouver celles qui sont déterminantes par rapport à sa difficulté d’être et enfin travailler avec elles pour libérer ce qui doit et peut l’être.
L’information d’une rétention
Une structure vivante qui résiste ou refuse de communiquer parce qu’elle sent sa survie menacée, vit une situation contenant de l’information, plus ou moins riche, plus ou moins complexe, selon la situation vécue. En résistant ou refusant de communiquer, une structure vivante retient de l’énergie, donc de l’information, en relation avec l’événement même qui a produit le refus. Une zone de rétention peut donc contenir différentes informations, relatives aux flux d’énergie impliqués dans sa création ; par exemple :
Décision, considération, refus. Pour qu’une chose existe chez le vivant, il faut une décision qui la fasse exister (un je suis en quelque sorte). Au niveau tissulaire, nous avons du mal à imaginer ce que peut être la décision ou la considération, parce que nous projetons dans les tissus le même concept de conscience que celui qui nous anime. Il faut être beaucoup plus simple. La conscience tissulaire est une conscience élémentaire, presque exclusivement fondée sur le je/non-je, de la pensée quasiment binaire donc. Les réponses à ce niveau seront donc également basiques, fondées sur le type de réponse associée, c’est-à-dire le oui/non. La décision sera donc non pour refuser de communiquer. Il y a peu de place ici pour le peut-être…
La non-communication est la conséquence directe du refus. Elle entraîne une diminution de la conscience d’exister de la zone en refus, qui s’individualise de l’organisme auquel elle appartient. Celui-ci en retour perd la conscience de son existence. La zone en rétention sort peu ou prou du schéma de conscience du système auquel elle appartient, et proportionnellement de son contrôle. Pour cette raison, le patient ne sait pas où se trouvent ses rétentions. Il est seulement conscient des inconforts qui en résultent.
Le mouvement peut faire partie de l’information retenue dans une zone de rétention, notamment si l’incident qui a produit le refus contenait beaucoup d’énergie cinétique. La libération se fera alors essentiellement dans et par le mouvement. Ce type de libération est assez caractéristique du whiplash.
La douleur fait souvent partie de l’information retenue dans les tissus. Elle est même très probablement à l’origine de ce qui a motivé la résistance et le refus. Au moment de la libération d’une rétention, le patient verbalise souvent une douleur, différente toutefois de la douleur inflammatoire apparaissant immédiatement au contact ou à la mobilisation d’une zone corporelle. Celle-là, apparaît au cours du processus, progressivement, et n’est quasiment jamais intolérable, même si elle peut parfois être forte. Le patient verbalise souvent une douleur qui fait du bien, signifiant par là qu’elle correspond à un processus de libération.
L’émotion est fréquemment présente en tant que contenu informatif d’une zone de rétention. Nous avons tous expérimenté la libération émotionnelle se produisant au cours d’un relâchement tissulaire.
Résidus chimiques et toxines stagnent souvent au niveau d’une rétention, soit parce que la situation qui a produit la rétention comportait un substrat chimique, soit à cause de la stagnation résultant du refus de communiquer. La libération de ces résidus ou toxines peut expliquer certains phénomènes (fatigue, douleurs diffuses, etc.) se produisant au moment d’une libération de rétention, ou dans les heures ou jours qui suivent (toxines libérées dans la circulation et que le corps doit drainer).
Un index de position dans le temps et l’espace est également une information enregistrée avec la rétention tissulaire. Cela est logique, puisque la situation qui a engendré la rétention s’est déroulée à un certain moment de la vie de l’individu et que le corps à ce moment occupait une position particulière dans l’espace. Au cours d’un processus de libération, il arrive souvent de sentir les tissus du patient aller vers une position correspondant à celle du traumatisme qui a engendré la rétention.
Par ailleurs, la rétention d’énergie est une réponse à une agression. Lorsqu’elle persiste, alors que l’événement qui l’a générée a disparu, elle laisse la structure figée dans un présent qui n’existe plus, un présent du passé qui l’amène à vivre le présent avec des paramètres du passé et donc à être inadaptée à la vie présente. Le corps ne peut jamais être totalement dans le présent, ce qui perturbe son fonctionnement. Il est chargé de zones de rétention qui sont autant de passés continuant d’exister dans le présent. « Tout événement mental, émotionnel et physique qui dévie, empêche ou interrompt les libres rythmes inhérents à la vie, forge un maillon dans la chaîne reliant l’homme à son passé. » (Frymann 1998, 253-254).
Ce qui vient d’être exprimé sur les phénomènes de rétention et la retenue d’information évoque irrésistiblement le concept de mémoire. Retenir de l’énergie, c’est retenir de l’information. L’énergie arrêtée devient potentielle et porteuse d’une information bloquée dans la rétention qui perturbe la vie de la structure et l’empêche de vivre au présent. Cette mémorisation est d’autant plus perturbatrice qu’elle est inconsciente. Elle constitue une altération non accessible spontanément à la conscience de l’individu, et régit à son insu une partie de la vie de la structure tissulaire. Nos techniques de libération sont donc extrêmement bienvenues pour l’organisme. « Les patients et leurs problèmes ne reviennent pas sur leurs pas pour recouvrer la santé : la santé est MAINTENANT. » (Brooks ed, 1997, 247).
Traiter
« Le praticien est un mécanisme respiratoire primaire involontaire au sein d’une physiologie corporelle volontaire vivante. Son patient est doté des mêmes qualités, c’est-à-dire qu’il est un mécanisme respiratoire primaire involontaire au sein d’une physiologie corporelle volontaire vivante. » (Brooks ed., 1997, 138). Ce qui le fait praticien, c’est qu’il assure par rapport au patient le rôle de fulcrum et met en œuvre les outils fondamentaux de la conscience, tout en appliquant un modus operandi.
Les outils du praticien
L’outil essentiel est celui de la conscience : la communication. Pour être efficace, elle doit s’établir autour d’un réel mutuellement reconnu. Le réel corporel est de deux ordres :
matériel, relié à la réalité physique du corps. Nous l’appelons réalité objective ;
immatériel, relié à la conscience corporelle, que nous appelons réalité subjective.
La communication avec le système corporel vivant cherche à le rejoindre dans ces deux niveaux de réalité, grâce à ce que nous avons appelé les paramètres de communication :
les paramètres subjectifs, reliés à l’être, sont la présence, l’attention et l’intention ;
les paramètres objectifs, reliés à la matière sont densité, tension et vitesse. Lorsque le praticien est syntonisé (accordé) à la densité des tissus de son patient, il obtient une perception de plasticité.
La palpation : percevoir la plasticité
Si nous admettons l’idée qu’une structure vivante, quelle qu’elle soit, est animée de mouvements alternatifs d’expansion et de rétraction, nous en arrivons à concevoir le système corporel comme plastique. Ainsi, pouvons-nous comprendre Sutherland lorsqu’il écrit : « Les tissus osseux sont également fluides. » (Wales ed, 1990, 127).
La plasticité n’est pourtant pas ce que nous expérimentons d’emblée des structures osseuses. Le premier malentendu – nous devrions dire mal-perçu – avec la structure corporelle commence très tôt dans nos vies, la plupart du temps à l’école. Nous y découvrons des spécimens d’os réduits à leur partie minérale, sèche, cassante, dure. C’est à partir de cette expérience initiale que s’élabore notre premier modèle de la structure osseuse. Et comme elle est la première, elle prévaut implicitement tant qu’une expérience différente ne nous oblige pas à la réévaluer. Ainsi, le concept de structure évoque quelque chose de matériel, fixe, rigide, non vivant.
Ce mal-perçu se renforce du fait qu’en état de conscience normale, l’os nous apparaît effectivement comme rigide. N’est-il pas charpente ? Comment pourrait-il donc être autrement que rigide ? Dans l’état de conscience ordinaire, nous ne discernons pas que cette rigidité est relative. En effet, l’os vivant est à la fois rigide et souple. Il est rigide grâce à ses composants minéraux, mais il est également souple, grâce à ses composants organiques. Pour exprimer le concept de plasticité Sutherland utilise la métaphore du chêne : « Avant de devenir une bûche desséchée, même le tronc du puissant chêne possède un certain degré de flexibilité. Le haut pin de Norvège se ploie et oscille sous l’effet du vent. Un pin de Norvège mort, de même diamètre et de même hauteur, situé à trois mètres de là, est aussi rigide et inflexible qu’un poteau téléphonique. » (Strand-Sutherland et Wales eds, 1998, 87). Mais s’il exprime sa perception de plasticité, il ne nous dit rien de l’état de conscience dans lequel il était pour parvenir à cette perception, ni du modus operandi permettant d’atteindre cet état. Peut-être n’était-il pas éveillé au fait qu’une telle perception nécessite un changement d’état de conscience ? Il vivait la chose, sans se rendre vraiment compte qu’il vivait quelque chose de différent de ses contemporains. D’où de nombreux malentendus...
Lorsque nous percevons le système corporel rigide, nous nous référons à notre conscience minérale. Mais en nous référant à notre conscience organique (la vie), nous pouvons le sentir souple. C’est en modifiant notre état de conscience (notamment par le travail sur la présence) et en nous accordant aux paramètres objectifs (densité) de la structure osseuse que nous pouvons commencer à la percevoir comme plastique et à modifier notre modèle, notre conception. Seule, semble-t-il, l’expérience a le pouvoir de modifier, de réactualiser un modèle implicite. Le concept de fluidité ou de plasticité devient logique si nous considérons la cellule comme un espace communiquant.
Le modus-operandi
L’explication détaillée du modus-operandi du traitement est trop longue pour pouvoir être développée dans le cadre de cette conférence. Je me contenterai donc d’en indiquer les grandes lignes.
Mettre le système en communication : puisque l’information perturbant le système existe en son sein, c’est là qu’il faut aller la chercher pour libérer ce qui doit l’être. Mais il faut en premier amener le système corporel dans son ensemble à un état de communication suffisant pour lui permettre de livrer l’information. Cette première phase est la plus importante et la plus longue d’un traitement. Elle fait appel à des techniques d’approche globale, notamment la compression occipitale.
Chercher, trouver, libérer les zones de rétention devient possible une fois le système communiquant. L’approche mécanique est celle qui est utilisée en premier : le système étant envisagé comme plastique et pulsant, une rétention altère sa mécanique à la manière dont un insecte pris dans la toile de l’araignée en altère l’harmonie.
Rétablir l’harmonie dans le système : une zone de rétention altérant tout le système corporel, sa libération, bien que bénéfique pour la vie de l’organisme, initie un changement que le système peut avoir du mal à gérer. Le premier devoir du praticien est d’aider la structure corporelle de son patient à rétablir cet équilibre, en l’aidant notamment à se recentrer sur son axe mécanique primaire (la dure-mère) et sur son fulcrum physiologique, celui de Sutherland.
Pour conclure
Ce bref exposé a tenté d’exprimer le plus synthétiquement possible les fondements de l’approche tissulaire. Plus qu’un regard sur l’ostéopathie, il s’agit d’un regard sur la vie. Il sous-tend mon action de praticien et d’homme, il me permet d’établir une cohérence. Cette vision résulte d’une lente progression qui m’a permis de découvrir que dans le traitement ostéopathique, le praticien ne saurait se contenter d’être un intervenant extérieur, neutre, par rapport à son patient. La relation thérapeutique engage, comme le dit Becker, deux êtres et leurs mécanismes volontaires et involontaires, agissant et réagissant l’un sur l’autre. Il m’apparaît aujourd’hui évident que les limites de l’ostéopathie sont essentiellement celles de l’ostéopathe, ce qui implique du même coup que pour pouvoir aider plus efficacement ses patients, l’ostéopathe doit commencer par s’aider lui-même et cheminer sur les voies de développement personnel. Ainsi vécue, l’ostéopathie me semble une approche de pointe dans la mise en œuvre d’un nouveau paradigme thérapeutique.
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