Mais voilà qu’est venu à l’idée de quelques farfelus de traduire ces textes et de les mettre à la portée de tous. Du coup, voilà Still et Sutherland devenus bien encombrants ! On leur reproche en particulier d’être obsolètes, vieillis, d’avoir trop versé dans l’ésotérique et le spirituel. Bref, sont pas présentables nos Ancêtres. Ils détonnent, dit-on officiellement. Ils font tache pour parler clair. Il faut dire que Still n’a pas été raisonnable, non plus. D’abord, dans ses écrits, avec pas moins de 300 évocations de Dieu et du divin dans son Autobiographie. De plus, il a semble-t-il fait exprès d’aller fureter dans tous les domaines possibles et imaginables, de préférence les moins recommandables : phrénologie, magnétisme, spiritisme, etc. 2. Certains affirment même qu’il a été franc-maçon. 3 Il faut dire qu’appeler le Créateur, Grand Architecte, c’est un peu voyant. Il y en a même pour prétendre qu’il a été acupuncteur 4. Dieu merci, à son époque Moon et Hubbard n’étaient pas nés, sinon, il aurait bien été capable de mettre le nez chez les unificateurs et les scientologues... Sutherland ne vaut guère mieux : lui aussi évoque souvent la Bible et le Créateur. En plus, il invente des choses impossibles comme la « lumière liquide », ou parle de « transmutation », de « Souffle de Vie ». Que voulez-vous qu’on fasse de ça aujourd’hui ? Le plus présentable reste encore Littlejohn – dans ses écrits en tout cas (je me suis laissé dire que John Wernham y avait veillé).
Il est vrai que nos détracteurs ne font pas dans la dentelle, tel le psychiatre Jean-Marie Abgrall, qui dans son livre Les charlatans de la santé 5 classe la plupart des pratiques non officielles et donc l’ostéopathie, dans les « patamédecines » – terme alternatif choisi pour charlatanerie – et n’hésite pas à traiter les patients qui y recourent de « gogos extatiques. » 6 Vu le nombre de gens utilisateurs de ces pratiques, cela tend à prétendre que le monde est vraiment peuplé de fadas. Heureusement que les psychiatres sont là... Face à une telle arrogance, il est évidemment tentant de jouer « profil bas » et surtout de ne rien dire ou montrer qui pourrait irriter l’autorité. C’est ce que font nos associations socio-professionnelles dans leurs plaquettes de présentation de l’ostéopathie. La plupart du temps, l’origine de l’ostéopathie n’est pas évoquée, pas plus que ne le sont, bien entendu, Still, Sutherland, ou Littlejohn. Et que dire des collèges sensés enseigner l’ostéopathie ? À des étudiants de fin de cycle, lors de séminaires post-gradués, je demande : « qui a lu Autobiographie ? » « Qui a lu Philosophie de l’ostéopathie ? » « Qui connaît l’histoire de Sutherland ? » Je suis atterré de voir le peu de mains qui se lèvent, lorsqu’il s’en lève...
Pourquoi les ostéopathes tentent-ils désespérément de se couper de leurs racines, au motif plus ou moins avoué (plutôt moins que plus) qu’elles ne sont pas présentables ? Sommes-nous donc devenus si petits, que nous ne soyons plus capables de discerner la grandeur de nos maîtres, au point d’avoir honte d’eux et de ne plus oser les évoquer, de les ignorer, de ne même plus oser dire qui nous sommes et sur quoi nous fondons notre pratique ? Pourtant, en examinant la manière dont ont agi ces Anciens, nous nous apercevons que leur comportement fut tout autre : ils ont osé affirmer ce qu’ils étaient et ce qu’ils pensaient, sans jamais accepter de compromis sur ce qu’ils estimaient essentiel : leur philosophie. Est-il une autre manière d’exister que tel que l’on est vraiment ? Cela s’appelle intégrité, et notez bien que je n’ai pas écrit « intégrisme ». D’ailleurs, qu’avons-nous à opposer à nos détracteurs, si ce n’est la philosophie qui fait le fondement de l’ostéopathie ? Les ostéopathes dépensent un temps et une énergie considérables à ne pas être ce qu’ils sont et à paraître ce qu’ils ne sont pas. À l’évocation de ce problème, une phrase de Still me revient : « N'ayez pas peur des ennemis qui ont attaqué chaque progrès que nous avons entrepris. Ils ne peuvent nous nuire, leurs coups ne sont que bénédictions déguisées. Notre plus grand danger, le seul danger qui peut en fait menacer le futur de l'ostéopathie réside dans les erreurs de ceux qui se prétendent nos amis » 7.