Le début de la médecine scientifique
L’évaluation des connaissances médicales du temps est également indispensable pour comprendre les propos que Still tient dans Philosophie de l’Ostéopathie. Nous sommes en 1899. Ignace Semmelweis (1818-1865), obstétricien hongrois a découvert l’origine infectieuse de la fièvre puerpérale et préconise l’asepsie, mais il est combattu par les médecins de l’époque et ses travaux ne sont pas diffusés. En France, Claude Bernard (1813-1878) vient de jeter les bases de la médecine expérimentale, fondement de la médecine actuelle. Louis Pasteur (1822-1895) et ses travaux commencent seulement à être reconnus, En Angleterre, Joseph Lister (1827-1912) lutte pour imposer la notion d’asepsie, En Allemagne, Robert Koch (1823-1910) découvre le bacille de la tuberculose (1882), aboutissant à la découverte de la tuberculine.
Toutes ces recherches qui constituent le point de départ de la médecine scientifique moderne, ne sont peut-être pas encore connues de Still, ou bien la méfiance qu’il a développée à l’égard de tout ce qui est médical le rend très circonspect à leur égard. Il raisonne donc à partir de son niveau de connaissance en anatomie et en physiologie et formule des hypothèses par rapport à ce qu’il observe ou aux résultats qu’il obtient. Dans beaucoup de cas, nos connaissances d’aujourd’hui sont venues invalider ces hypothèses, apportant d’autres explications. Pourtant, le bon sens, la faculté d’observer, l’aptitude à résoudre les difficultés et les résultats obtenus nous obligent à admettre que malgré cela, l’ostéopathie demeure une approche véridique et efficace, même si Still nous déroute souvent.
Une expansion impossible à contrôler
L’histoire du collège et du développement de l’ostéopathie nous donnera enfin quelques ultimes lumières. Jusqu’en 1896, le collège de Kirksville a été la seule institution de formation à l’ostéopathie. Still a pu assez facilement contrôler le développement et les orientations prises par le mouvement, mais à partir de 1896, d’autres collèges se sont créés (entre 1896 et 1899, treize collèges légitimes se sont ouverts). Dès lors, il ne contrôle plus le mouvement et sent l’ostéopathie lui échapper, prendre des orientations qu’il ne souhaitait pas et il en souffre.
Au sein même du collège de Kirksville existent des conflits dans les orientations de l’enseignement, notamment entre Still d’une part, et William Smith,[1] enseignant de la première heure au collège et les frères Littlejohn, d’autre part, tous écossais et médecins. Les frères Littlejohn sont arrivés aux États-Unis vers les années 1890. J. Martin Littlejohn – celui là même qui fondera la British School of Osteopathy à Londres en 1913 –, était diplômé de l’université de Glasgow, James était chirurgien et docteur en médecine et David détenait un diplôme en sciences.[2] Souffrant de problèmes de nuque et de gorge, J. Martin se rendit à Kirksville pour y recevoir un traitement ostéopathique. Il recouvra la santé et fut recruté pour donner des cours à l’ASO [3] sur son sujet favori, la physiologie. En 1898, il devint doyen de la faculté et professeur de physiologie à l’ASO, tout en suivant les classes d’ostéopathie. James et David suivirent leur frère à Kirksville où ils enseignèrent également, tout en étudiant l’ostéopathie.[4]