L’évolutionnisme de Spencer
Ce sont les travaux du philosophe anglais Herbert Spencer [14] qui lui fourniront les éléments dont il a besoin.
Pour Spencer, l’évolution [15] est un processus rythmique continu, naissant de la continuelle recherche d’équilibre entre deux principes fondamentaux que sont : intégration (influx) et désintégration (efflux). En d’autres termes, la vie d’un organisme est possible grâce aux échanges qu’il contracte avec son environnement et à l’adaptation des relations internes aux conditions externes, la perte de cet équilibre conduisant à la mort.
Les échanges constants intervenant entre l’organisme vivant et son environnement entraînent l’intégration progressive d’informations, d’énergie et de matière que Spencer conçoit comme le moteur essentiel du mécanisme évolutif puisqu’il mène à la complexification progressive du vivant.
L’originalité de l’œuvre de Spencer – et son principal défaut –, réside dans l’extrapolation d’un mécanisme fondamental du vivant (Principes de biologie, 1850, Principes de physiologie 1854), étendu à tous les compartiments de sa manifestation : la psychologie, la sociologie, l’éthique, la politique, etc., dans le but de développer une philosophie synthétique. Les éléments de biologie et de physiologie développés par Spencer ont particulièrement intéressé et inspiré Still.
Dès les années 1860, le système de l’évolution se répand et devient rapidement « la bible séculière du développement occidental ». [16] La pensée de Spencer s’impose aux États-Unis, dans toute l’Europe occidentale, mais également en Russie et au Japon, et ses thèses sont universellement diffusées dans les enseignements universitaires.
Le succès des théories de Spencer aux États-Unis tient sans doute à plusieurs raisons. Elles s’adressent tout d’abord à des gens dont le bagage philosophique est peu étendu. De plus, sa philosophie, plus pragmatique que spéculative, se fonde sur un principe simple, étendu à toutes les manifestations du vivant, ce qui la rend séduisante et relativement accessible.
Par ailleurs, promouvant la libre entreprise et la loi du plus fort, elle étaie l’argumentaire théorique des partisans du libéralisme issu de la révolution industrielle et va dans le sens de l’esprit pionnier, permettant de justifier facilement certains agissements comme l’extermination ou la déportation des peuplades amérindiennes ou l’expansionnisme effréné dans les domaines industriel et économique.
Enfin, cette philosophie se veut naturaliste, se fondant largement sur l’observation, ce qui plaît beaucoup à Still, habitué à étudier dans le « grand livre de la nature ».
Aujourd’hui tombée en désuétude, la philosophie évolutionniste de Spencer a constitué « le système philosophique le plus régulièrement approuvé des classes dirigeantes et des milieux d’affaires de l’Occident industriel et libéral. » [17]
Cette désaffection découle sans doute des erreurs et fautes logiques qui caractérisent son projet, argumenté par le modèle de l’organisme, cherchant à décrire et à prescrire l’évolution sociale comme si elle dépendait simplement et directement de l’évolution biologique.